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Berlin – 24 heures dans les vibrants quartiers Est

Par Arnaud Idelon / Publié le 04.06.2018

On dit de la capitale allemande qu’elle se serait aujourd’hui assagie. Berlin a incarné, durant les trente années suivant la chute du Mur, la destination ultime des explorateurs de l’underground pointu en Europe. Creuset des tendances artistiques, musicales et lifestyle qui ont irrigué l’Europe ces dernières années, Berlin serait devenue une ville embourgeoisée, la gentrification des dix dernières années l’ayant transformé en paradis standardisé pour hipsters. Pourtant, loin de ces poncifs, une journée dans les quartiers dynamiques du centre-est de la ville, de Kreuzberg à Friedrichshain en passant par Neukolln, constitue un témoignage éclatant de sa créativité sans cesse renouvelée.

©Klunkerkranich

Kreuzberg, entre Histoire et underground

Quartier emblématique de Berlin, symbole de sa population cosmopolite et de ses mouvements contestataires dans les années 90, Kreuzberg constitue un point de départ idéal pour embrasser l’histoire récente de Berlin, depuis la seconde guerre mondiale jusqu’à la réunification. Si le site de Checkpoint Charlie, passage emblématique entre Est et Ouest durant la Guerre Froide, propose un cadre assez anecdotique, le musée adjacent qui retrace un pan d’histoire de cette période, constitue une véritable immersion dans ce passé tumultueux. Reconstitutions, explications variées et plaisantes, la scénographie est ici au service du spectateur et du propos historique, rendu ainsi vivant. D’une manière générale, les musées berlinois offrent une expérience diversifiée, par cette approche innovante et originale.

Plus intenses, peut-être, mais inoubliables, seront les visites des deux musées de Kreuzberg consacrés à l’horreur Nazi. Le premier, le Jüdisches Museum Berlin, réalise la prouesse de mêler, grâce au travail phénoménal de son architecte Daniel Libeskind, la narration précise de la Shoah à l’expérience individuelle de l’horreur qu’elle représenta, sans aucune surenchère macabre. S’intercale ainsi, salles historiques classiques, où l’on observe objets et récits témoignant de l’Holocauste, à des pièces immenses et vides où le spectateur, plongé dans l’obscurité et n’apercevant que très haut une source de lumière, est invité à ressentir l’effroi à jamais lié à cette période. Non loin de là, le musée Topography of Terror, non moins impressionnant puisqu’il est situé dans d’anciennes cellules de la Gestapo, retrace l’histoire du Nazisme et des méthodes de répression qui ont marqué leur arrivée au pouvoir.

Ces quelques visites achevées, on se prend à lier le passé de la ville à son présent, tout en longeant l’East Side Gallery. Ce pan du Mur de Berlin conservé est un musée à ciel ouvert, où les artistes se sont succédés durant les trente dernières années pour célébrer la paix à travers la peinture et le street art. Cette marche commence à réveiller notre estomac ! Heureuse coïncidence, Kreuzberg réunit cinq continents de cuisine, au gré de sa population variée et des dernières tendances culinaires branchées. Japonaise, turque, italienne, allemande, égyptienne, la cuisine se vit ici comme un voyage. On choisira, par devoir et gourmandise, de goûter un Döner kebab d’Imren Grill, institution locale qui permettra de découvrir cette spécialité allemande – et oui ! – d’origine turque.

East Side Gallery, ©SarahTz, Flickr.

En allant vers Neukölln

Cap à l’est alors que l’après-midi débute, et vers Neukölln, nouveau haut lieu de la culture créative berlinoise. En chemin, on s’arrête dans l’une des nombreuses galeries d’art contemporain, qui font de la ville un épicentre mondial de la création, et non des moindres. Logée dans St. Agnes, église surprenantes à l’architecture brutaliste, géométrique et tranchante, la König Galerie propose, au-delà de son cadre incroyable, entre spiritualité et rigorisme, des œuvres d’artistes comptant parmi les plus excitants de la nouvelle génération européenne. Parmi eux, Jeppe Hein, les scandinaves Elmgreen & Dragset, l’italienne Monica Bonvicini ou encore quelques noms connus du public français, parmi lesquels Camille Henrot et Tatiana Trouvé.

Située dans le centre de Neukölln, Cell63 est une galerie plus expérimentale encore, Créé par l’artiste italienne Luisa Catucci, l’espacée exigu de Cell63 se veut un champ libre d’exposition pour les artistes émergents. Sur ses murs, se côtoie une foule sans cesse renouvelée d’œuvres intrigantes, alors que sur son sol, c’est la jeunesse arty des environs qui s’affiche.

On suit d’ailleurs ces jeunes gens, qui nous entraînent dans leur dernier repère, Klunkerkranich. Rooftop aux allures new-yorkaises, si ce n’est qu’il est plus spacieux et convivial – plus allemand, diront certains – le lieu est idéal à la fin du jour pour profiter de la vue, des boissons et de l’ambiance festive qui s’y propage peu à peu. Si un dancefloor fait déjà de l’œil aux plus hâtifs, Klunkerkranich constitue surtout la rampe de lancement idéale pour s’immerger dans la fameuse nuit berlinoise et pousser encore un peu plus à l’est, vers le quartier mondialement connu de Friedrichshain.

Wilde Renate, ©tracy the astonishing, Flickr

Friedrichshain, la nuit

Si tout, ou presque, a été dit sur la vie nocturne de la ville, et notamment son épicentre, le Berghain, ses soirées de 72 heures et Sven, son physio charismatique, on en oublierait presque que cette nuit évolue, se transforme, et demeure l’une des plus éclectique d’Europe. Par-delà le Berghain et les institutions que constituent Trésor et Watergate, de nombreux nouveaux clubs et soirées itinérantes constituent une expérience inoubliable pour les plus téméraires.

Avant de plonger dans la nuit noire, on rend visite au petit nouveau Renate. A l’opposé de la sobriété presque industrielle qui caractérise la plupart des lieux de nuit du quartier, Renate est un espace vaste, partiellement ouvert, où l’on peut déambuler de la chaleureuse piste de danse à un jardin, un labyrinthe et même une piscine. Un rêve pour les grands enfants, même si les berlinois se plaignent d’être encore une fois chassés peu à peu du lieu par les touristes.
Si l’on veut plonger dans la véritable scène alternative berlinoise contemporaine, il faut s’armer de courage et, en premier lieu, de curiosité. En effet, difficile de trouver ces soirées itinérantes, souvent transmises par le bouche-à-oreille, où se retrouve la frange la plus créative et cachée de la jeunesse berlinoise. Parmi les manifestations les plus marquantes on peut citer les soirées Liber Null, qui agrègent performance et live dans une ambiance post-apocalyptique, ou encore les soirées Trade, nouveau repère des plus branchés, qui se déhanchent toute la nuit sur du R&B futuriste.

C’est épanouis et béats, que nous sortons de ces 24 heures, avec une certitude, que Berlin n’a certainement pas perdu de sa superbe !