France

Passage Jouffroy, un Paris sous cloche

Par Nathalie Troquereau / Publié le 03.11.2016

Celui qui part à la découverte d’une ville, tête en l’air et pas hésitant, se régale de la ruelle biscornue, d’une façade d’immeuble séculaire, bref, de tout ce que la cité offre à qui sait la déshabiller. Les passages couverts parisiens, sortes de sentiers mystérieux, suggèrent une autre manière de traverser la ville. Arrêtons-nous sur le passage Jouffroy, creusé de la rue de la Grange-Batelière au Boulevard Montmartre.

Paris, Passage Jouffroy (Photo: L. Mercelis via Flickr / CC BY 2.0)

L’autre ventre de Paris

Inauguré en 1846, il se distingue des passages déjà existants grâce à ses verrières métalliques, offrant une luminosité inégalée mais surtout, témoignant de la mode grandissante pour ce type d’architecture. Situé dans la continuité du passage des Panoramas, très populaire à l’époque, le passage Jouffroy tire beau profit de ce sillage attractif. C’est une période où les passages couverts constituent une attraction en soi pour les Parisiens, qui viennent autant scruter les vitrines des boutiques que pour être vus par la bonne société. Jusqu’à la première partie du XIXème siècle, le centre-ville de Paris ne ressemble en rien à celui que nous connaissons ; Haussmann ne l’a pas encore transformé. Pour l’heure, se promener en ville tient du cauchemar. Les rues sont si sombres et étroites qu’on se retrouve avec une toilette crottée et une certaine mauvaise humeur. Les passages apparaissent donc comme de véritables oasis urbaines. Ils assurent une déambulation exclusivement piétonne, où partout le regard est sollicité par les enseignes commerciales et la faune citadine qui évolue autour d’elles. Si chaque passage est différent, le passage Jouffroy se singularise par bien des aspects, notamment grâce aux institutions historiques qu’il abrite encore aujourd’hui. Une capsule temporelle qui ressuscite le Paris conté par Balzac ou Zola, tout en gardant un ancrage dans le présent.

Poupées de cire

Bien souvent passage Jouffroy, les heures filent sans qu’on ne s’en aperçoivent tant les distractions y sont variées. À l’entrée, côté boulevard, s’érige la façade du musée Grévin, le fameux exposant de célébrités en cire. Baptisé d’après le caricaturiste Alfred Grévin, engagé pour façonner les toutes premières figurines du musée, l’établissement ouvre ses portes trente-six ans après l’inauguration du passage, à l’initiative d’un homme de presse soucieux de montrer les vrais visages des célébrités à son lectorat. Mais le concept ne vient pas de lui. Mouler et reproduire le visage d’un mort est aussi une tradition monarchiste. Là où le musée Grévin innove (même s’il copie le musée Tussauds de Londres) c’est dans le critère de sélection : plus besoin d’avoir du sang bleu, il suffit d’être célèbre. Depuis 1882, le musée ne désemplit pas, mais ses figurines de cires ont quant à elles bien changé ! Elles valsent au gré de leur popularité. Certaines y trônent depuis des décennies tandis que d’autres ne restent que quelques courtes années sur le devant de la scène, avant d’être remisées… Ainsi, une balade au Grévin permet de capter un instantané des personnalités dans l’air du temps.

Madeleines de Proust

En sortant du musée, il faut s’offrir cette pause délicieuse et gourmande que promet le pâtissier Valentin. On peut emporter leurs mignardises pour dévorer en même temps des yeux les vitrines alentours. Chez Valentin, c’est aussi un charmant salon de thé où l’on s’installe confortablement au cœur du passage. L’établissement vous livre une carte vertigineuse de péchés mignons. On y trouve des clins d’œil tels le sablé Grévin ou encore le Jouffroy, dont les descriptions de composition confinent à la poésie et assurent au mangeur l’originalité des produits. Le guide Michelin ne s’y est d’ailleurs pas trompé en mentionnant la maison dans ses bonnes feuilles.

Une fois les papilles délectées et les pieds délassés, le passage réserve encore bien des surprises. La vitrine de Pain d’Épices convoque le regard pour l’emporter immédiatement dans la nébuleuse de l’enfance. C’est l’un des plus vieux magasins de jouets de Paris, spécialisé dans les maisons de poupées. Antre du rêve et de l’imaginaire, les étals se composent de mille objets miniatures et précieux, que l’imagination tente d’assembler pour créer une maison décorée à son propre goût. Il est des choses auxquelles l’âge ne peut rien… Rêveries mises à part, l’adresse est excellente pour des idées de cadeaux, la maison proposant aussi pléthore de jouets et de manivelles musicales.

Le temps suspendu

À propos de musique, l’hôtel Chopin est tout près, au fond du premier axe du passage. En ouvrant la porte, les subtiles Sonates ou Nocturnes accueillent le badaud ou voyageur en quête d’une halte. Le hall vétuste a conservé un charme suranné exquis. La banquette d’attente en cuir vert écorché témoigne des années passées assises contre ce mur. Un chat noir y sommeille paisiblement, bercé par le piano. Ancien Hôtel des Familles, il est renommé Hôtel Chopin en 1970, en hommage au compositeur qui aimait à se promener passage Jouffroy pour se rendre à la salle de démonstrations des pianos Pleyel, située non loin d’ici. « Il allait taquiner la noire et la blanche » s’amuse à raconter la réceptionniste de cet écrin feutré. Derrière sa façade, classée monument historique, se cachent trente-six chambres dont les plus hautes donnent sur les toits de Paris. Avant d’y poser sa valise, il est conseillé d’emporter un peu de lecture. On peut faire une dernière escale à la Librairie du Passage, spécialisée dans les arts décoratifs, mais aussi dotée d’un grand fond de livres d’arts en tous genres. Vous pouvez désormais éteindre la lumière, vous êtes à Paris, mais vous êtes hors du temps.