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Costa Rica: Grandeur nature à Tortuguero

Par Charlotte de Saintignon / Publié le 25.03.2014

Imaginez une cordillère centrale qui plonge dans les eaux du Pacifique à l’ouest et dans celle de la mer des Caraïbes à l’est. D’un côté, le littoral du Costa Rica aligne ses anses parfaites, entrecoupées de falaises qui tombent à pic dans une mer aux eaux cristallines. De l’autre, une chaîne de montagnes verdoyantes se découpe sur le ciel azuré. Sur la côte Caraïbes, au nord du pays, le parc national de Tortuguero est un véritable sanctuaire de vie. Qui abrite le plus grand nombre d’espèces animales au monde. Promenade en barque dans cette “petite Amazonie”.

Photo: Charlotte de Saintignon2156

À Tortuguero, pas besoin de réveille-matin. Un singe hurleur se charge de tout, à sa manière, par un son long, rauque, lugubre. Préhistorique. Ici, la nature se lève tôt, avant même le soleil. Se couche-t-elle seulement ? Les nuits ne sont que roucoulements, sifflements, croassements, jacassements, couinements, feulements. Le sommeil est habité par les légendes de l’épaisse forêt. Près de 20 000 hectares se dévoilent, formant une luxuriante et brumeuse jungle. La vie sauvage se montre ici, diversifiée et fascinante. Lumière légère, clarté idéale, vaguement troublées par l’écume de la nuit. Nature édénique. Verdure enivrante.

Chasseurs de tortues

52 000 ha de rivières, canaux, lagunes et plages devinrent, en 1975, un parc naturel, une réserve pour animaux, une protection. Car depuis des lunes, on vint en grand nombre chasser les tortues du Costa Rica. Le parc fut donc crée pour défendre ces tortues marines venues nidifier sur les rivages. Et le nom choisi fut Tortuguero, « Chasseur de Tortues », en espagnol. Si ces tortues étaient en voie d’extinction à la fin des années 1950, cinq espèces sont recensées aujourd’hui. Entre février et juin, sur le sable gris, d’impressionnantes marques trahissent le passage de ces géantes de la mer. Les tortues luths, peu farouches, font chauffer leurs carapaces au soleil. En revanche, pas encore de traces des tortues vertes. Mais, à la lisière de la plage, sous les fougères, les nids de l’année dernière. Entre juillet et octobre, à marée haute, elles viennent, une fois la nuit tombée, pondre leurs oeufs.

Le parc national de Tortuguero est une véritable arche de Noé. Il abrite quantité d’oiseaux colorés, de singes de toutes sortes, de lézards indolents, d’iguanes verts, tous accrochés à leur branche. Le quetzal, l’emblème du pays, chante dans son beau pelage vert émeraude. Des paresseux bruns à trois doigts, des tortues marines, des crocodiles, ibis rouges… font de cette immense réserve un spectacle animalier permanent. Facilement observables, différentes espèces de toucans, pélicans, perroquets, hérons verts et autres aigrettes roussâtres ravissent les ornithologues de passage.

Moteur. La barque sillonne les canaux entre d’imposantes rangées d’arbres vert sombre. Se promener sur ces canaux sans jumelles serait comme aller à la pêche sans sa ligne ! À bâbord, là-haut, au-dessus de la canopée, presque dans les nuages, un singe paresseux est agrippé aux branches des arbres. Il raffole de ses feuilles. Le singe araignée solitaire répète pour sa part des figures de trapèze. Un peu plus loin, on aperçoit à travers les jumelles un héron qui se frotte les ailes d’aise avant de s’envoler au ras de l’eau. Un faucon le surveille du coin de l’oeil. Et un toucan par-ci, et un toucan par-là, tous se gorgent des fruits des arbres. Des martins pêcheurs en vue, des cormorans bec au vent… L’embarcation vire à droite. Arrêt devant un arbre aux racines somptueuses. Un animal se cache dans le décor. La bête en question ressemble, à s’y méprendre, à une feuille dentelée. C’est en fait un beau lézard, un basilic vert.

Rencontre avec le singe hurleur

Toujours pas de contact avec le réveille matin. Malin, le singe hurleur se fait désirer. Pour le rencontrer, il faut peut-être pousser par les sentiers balisés. Première piste, celle des fourmis. Quand elles ne se cachent pas dans les troncs des arbres, elles prospèrent sur les chemins. Ces bêtes de travail tracent dans le sol des couloirs droits et lisses. Apparaît une grenouille de dessin animé, aux couleurs flamboyantes : le corps rouge et les pattes arrières bleues. D’où son nom : blue-jean. Malgré sa petitesse, elle coasse comme une grande. Au rayon miniatures toujours, un crapaud qui tient sur un ongle. Passe un papillon insouciant : il fut chenille marron, puis cocon vert, il est devenu papillon. Tout ce beau monde profite de l’humidité tenace de la forêt, odeur mouillée et âcre, ribambelles d’insectes et arbres géants.

Une feuille tombe, lourde comme une pierre. Sursaut garanti. Des branches bougent, craquent, sous le poids d’une bête sombre. C’est le réveille-matin, le singe hurleur, un corps d’athlète, quoiqu’un peu trapu. Un cri, façon sergent-chef de la coloniale. Il hurle pour rappeler à sa tribu de femelles que c’est lui qui commande. Quelqu’un a-t-il osé en douter ?