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Sur le béton parisien, des vignes

Par Elise Chevillard / Publié le 02.10.2018

De Montmartre à Bercy, en passant par la butte Bergeyre, Paris regorge de vignobles que l’on ne soupçonne pas toujours. Vendangés chaque année, cinq d’entre eux sont entretenus par la Ville. Ces cépages urbains sont les témoins du riche passé viticole de la capitale mais aussi un patrimoine historique qu’il faut conserver. Partons pour une escapade vigneronne, à la découverte de ce vin » made in Paris » !

©Kathleen Tyler Conklin.Vignes de Montmartre.

Chaque année dans les vignes de Paris, entre le mois de septembre et d’octobre, environ 100 jours après la floraison, bénévoles, voisins, et jardiniers et parfois écoliers viennent cueillir les grappes à la main. Les gestes sont toujours les mêmes. Avant de couper le raisin, on regarde sa couleur, on le respire. On le goûte, parfois, souvent. On ne garde que les bons. Après la cueillette, s’ouvrira la Fête de la vigne et du raisin le 7 octobre. Au programme : présentation et visites des vignes, conseils viticoles, conférences sur l’histoire de la vigne… Mais aussi l’occasion de découvrir certains vignobles fermés au public. A Montmartre cette année, la traditionnelle fête mythique et antique se déroulera du 10 au 14 octobre autour de défilés et de dégustation des cuvées des années précédentes. Pour la petite histoire, la première fête des vendanges parrainée par Mistinguett et Fernandel eut lieu en 1934, mais à un détail près, qu’il n’y avait pas encore de raisins. On acheta donc des grappes aux Halles qu’on accrocha avec  du fil afin que les parrains puissent les couper. En 2016, les cinq vignes de la Ville ( à Montmartre, mais aussi dans le parc de Belleville, Bercy, Georges-Brassens et à la butte Bergeyre)  ont produit plus de 2000 litres de vin, dont 1400 litres pour le Clos-Montmartre.

©Vendanges à Paris, vignes de la butte Bergeyre.Jeanne Menjoulet

Paris, terre de vignes

Paris, ville des arts de la mode mais aussi ville… du vin ! Jusqu’en 1960, des vignobles s’étalaient sur tout le pourtour de Paris. Introduite par les Romains dès le IIe siècle,  la vigne prospère et conquiert rapidement toute la Gaule. Le vin s’acclimate très bien au climat grâce aussi aux reliefs et aux collines qui composent la région. En 360, Lutèce (avec Bordeaux et Narbonne) étaient alors l’un des plus importants domaines viticoles du pays.  Les raisins poussent de Montmartre à Belleville, en passant par Ménilmontant et l’abbaye de Saint Germain-des-Prés. Servi à la Cour de Saint-Louis au XIIIe siècle, ce vin jouit d’une très bonne réputation. Mais gros consommateurs, les Parisiens vont vite augmenter sa quantité au profit de la qualité, en ayant recourt au forçage par ajout du jus de betterave et même d’eau de la Seine et de craie pour adoucir l’acidité du vin.

En 1576, pour limiter le nombre des tavernes dans la capitale, les vins sont soumis à des droits d’octroi pour entrer dans Paris. L’habitude s’instaure alors de franchir les enceintes de la ville pour boire un petit canon. Guinguettes et cabarets fleurissent  sur la Butte Montmartre mais aussi à Bercy où le précieux liquide coule à flot. Toutes les couches sociales s’y retrouvent pour s’encanailler et se saouler à moindre coût. Les vignerons viennent écouler leur production à bas prix sans s’acquitter des droits d’entrée. « C’est du vin de Montmartre, qui en boit pinte en pisse quarte. » Ce dicton populaire de l’époque se moque même de la qualité du vin produit à Montmartre qui semble être ici exclusivement diurétique. Après des années de prospérité, les vignobles disparaissent peu à peu au XIXe siècle face à une urbanisation qui redessine autrement Paris, mais aussi sous l’effet des maladies de la vigne et de l’arrivée du chemin de fer.

©David McSpadden.Vignes de Montmartre.

La renaissance des vignobles Parisiens

En mémoire de ce passé viticoles, quelques pieds ont été plantés au XXe siècle dans les quartiers emblématiques du vin, autour de différents cépages : sauvignon, merlot, gamay et pinot noir. Dans les vignobles de Montmartre, Belleville, Bercy, la butte Bergeyre et Georges-Brassens, ce sont les jardiniers de la ville qui entretiennent la vigne.

En 1932,  Montmartre fut la première vigne à ressusciter le souvenir des vins de Paris en créant sur le versant Nord de la butte, un petit clos sous l’effet de la mobilisation de ces habitants qui s’opposaient à la construction d’immeubles sur le terrain. Composée d’une trentaine de cépages (Gamay, Pinot,  Sibel, Merlot…) , la vigne s’étale sur cinq plateaux, au pied du Musée de Montmartre et avec pour horizon une incroyable vue sur la ville des Lumières. Elle produit du rosé et du rouge. Ici, rien n’est laissé au hasard. Les raisins mûrissent les pieds dans le sable de Fontainebleau, du compost est utilisé pour la fertilisation des sols. Il faudra attendre 1953 pour que la vigne produise ses premières bouteilles de vin. En bouche, on retrouve des notes florales et poivrées, et des arômes de fruits rouges et noirs avec une pointe d’âcreté mais c’est ce qui fait son charme. Si aujourd’hui, ce vin est buvable c’est aussi et surtout, grâce au travail des œnologues qui régulièrement viennent inspecter les vignes.

© Osbornb. Vignes de la Butte Bergeyre.

La vigne la plus discrète de Paris

C’est un vignoble secret, niché sur les coteaux de la butte Bergeyre (19e), à 100 mètres de hauteur à côté du parc des Buttes-Chaumont, face à la vue imprenable sur le Sacré-Cœur. Accessible aux connaisseurs, mais derrière les grilles, cette vigne garde précieusement à l’abri ses grappes de raisins. Plantée en 1995, elle a repris sa place du temps des Romains, là où des moulins occupaient l’espace puis ensuite un stade de rugby. Ici, raisins blancs et rouges mûrissent chaque année. Un chemin serpente à travers les quelques 230 pieds de pinot noir, de muscat et de chardonnay qui chaque année depuis 2010, produisent la cuvée du clos Bergeyre que l’on dégustera le 7 octobre, rare moment où l’on peut aussi visiter la vigne.

©Jeanne Menjoulet. Georges-Brassens

Des parcs qui cachent des vignes

La capitale accueille aussi d’autres vignes moins connues et pourtant vestiges du passé comme à Belleville et à l’ouest, dans le parc Georges-Brassens. Installée sur un terrain en dénivelé qui abritait au XVIIIe siècle le vignoble de Périchot, la vigne de Georges Brassens est aménagée en quatre grandes terrasses. Le Périchot, cépage disparu, a laissé la place à 577 pieds de vignes dont du Pinot noir et du Pinot Meunier. L’histoire de Belleville est intrinsèquement liée au vin. Pendant le XVIIIsiècle, c’était en effet à Belleville que l’on produisait le ginguet, un vin jeune et légèrement pétillant et qui donna plus tard son nom aux guinguettes. Sur cette colline, qui fut autrefois un village et encore avant recouvertes de raisins, une vigne a été plantée en 1992 sur les côtés du parc de Belleville. On y retrouve 250 m² de plantation comptant 140 pieds de Pinot Meunier et de Chardonnay.

Situé dans le jardin Yitzhak Rabin, le vignoble du Clos de Bercy  planté en 1996, ainsi que les anciens chais et les rails destinés à acheminer les tonneaux, nous rappellent qu’autrefois, le site était la plaque tournante du vin à Paris, négocié directement sur les Berges. C’était un immense marché vinicole, appelé le cellier du monde qui attirait dès le XVIIe siècle les négociants en vins. Les fûts de chêne était acheminé jusqu’à Bercy par la Seine et le vin mis sur place en bouteille. Aujourd’hui, les 42 chais en pierre blanche ont été transformés en boutiques et restaurants, mais la vigne elle est là, dernier vestige de ce passé viticole. 350 pieds de Sauvignon et Chardonnay poussent sur une superficie de 660 m² .

La vinification des cinq vignes de la Ville se fait chaque année sous la direction d’une œnologue aux chais de Bercy et de Brassens,  à l’exception de ceux de Montmartre, qui possède sa propre cave.

© Kim. Vignes de Montmartre.

Du raisin au vin

Le raison récolté à Montmartre arrive dans les caves de la mairie du 18e arrondissement, où il sera vinifié selon des méthodes traditionnelles. Sous l’œil expert de l’œnologue,  les grappes sont sélectionnées pour être soit pressées dans un pressoir en inox, soit envoyées dans une cuve de macération. Vient ensuite le temps de la fermentation dans les cuves en inox où le vin va pouvoir évoluer, se complexifier et les arômes s’exprimer. Dans la cave de Montmartre, le rouge est élevé en barriques ce qui permet un bel équilibre entre les tanins du bois et du vin. Les vins sont ensuite mis en bouteille vers les mois de mars et avril pour le rosé et en début d’automne pour le rouge. Seuls les vins des vignes de Montmartre et de Brassens pourront être acquis lors de ventes aux enchères.

Aux côtés de ces vignobles officiels et bien référencés, des particuliers font renaître cette tradition viticole un peu partout dans Paris , pour qui sait bien regarder . Preuve que la vigne s’enracine de nouveau à Paris.