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De Digne à Nice en Train des Pignes

Par Elise Chevillard / Publié le 03.09.2019

Il relie les Alpes à la Méditerranée, se fraye un passage entre les reliefs escarpés, traverse des paysages variés où veillent des villages perchés qu’il réunit, le Train des Pignes a marqué le paysage depuis plus de cent ans. Du pays des châtaigniers à celui des oliviers, de la montagne à la plage, de Digne les Bains à Nice, prenez place à bord de cette ligne de chemin de fer à voie unique pour un périple de 151 kilomètres. Monter dans le Train des Pignes, c’est aussi faire un voyage dans le temps et se rappeler son histoire qui tisse un fil tenu avec le présent, c’est aussi une belle façon de découvrir la région autrement, plus lentement.  Attention à la fermeture des portes, attention au départ !

rain des Pignes © F. Pauvarel Région Paca (1)

Train des Pignes © F. Pauvarel Région Paca

Et toutes les fleurs
De toute la terre
Soudain se sont mises à pousser
Pousser à tord et à travers
Sur la voie de chemin d’fer
Qui ne voulait plus avancer
De peur de les abîmer

Jaques Prévert (En sortant de l’école)

10H05. Le quai de la petite gare de chemin de fer de Digne les Bains est désert. Et pour cause, ici, c’est la montagne qui dicte sa loi. Depuis 2018, un éboulement a coupé le tronçon entre Digne et Saint André les Alpes. Un bus effectue la liaison en attendant que la voie soit de nouveau ré-ouverte. C’est qu’il n’est pas tout jeune le Train des Pignes.

©Altermondo

©Altermondo

Au fil du temps et des rails

Depuis 1891, le Train des Pignes a résisté à tout : bombardements, grèves, problèmes financiers, arrivée de la voiture, accidents, se relevant vaillamment à chaque fois. Menacée aussi par les crues, plusieurs fois fermée, la ligne a toujours été sauvée par des habitants fiers de cette image provençale. C’est en 1861, que l’ingénieur originaire de Digne, Alphonse Beau de Rochas a l’idée un peu folle de relier Nice à Grenoble en passant par la vallée du Var, mais aussi Digne et Gap afin de désenclaver les régions rurales. Il faut alors percer la montagne, l’enjamber. Après des travaux colossaux , après 25 tunnels, 16 viaducs et 15 ponts métalliques, un premier tronçon de voie ferrée est ouvert entre Digne et Mézel en août 1981. Il faudra attendre 1911 pour que la ligne soit complètement achevée. Au total, ce sont plus de 610 kilomètres de voie qui courent sur quatre départements. Après la Seconde Guerre mondiale, certains tronçons seront abandonnés, mais la ligne Nice-Digne-les-Bains tiendra le coup. Elle transportera pendant longtemps des marchandises. Du bois, des draps et de la viande qui descendaient des montagnes, croisant du coton, de l’huile et du vin dans le sens inverse.

©EliseChevillard

Valorisé et rénové, le Train des Pignes est indispensable au quotidien des habitants des villages traversés. C’est parfois l’unique train qui arrive de l’extérieur. On y croise des écoliers, des travailleurs, mais aussi des voyageurs sans bagages, qui viennent découvrir la région le temps d’une journée. Aujourd’hui, la rame devenue moderne et confortable a conservé son petit nom qui fit circuler de nombreuses légendes. Certains avancent que le train circulait si lentement que l’on pouvait descendre ramasser les pommes de pain, pignes, en provençal. D’autres encore, pensent que c’est le pin qui était utilisé comme combustible pour faire avancer la locomotive. Enfin, d’après un conte provençal, le mécanicien du train aurait donné tout son charbon à un garde barrière qui n’avait plus de bois pour se chauffer un soir de Noël. En passant sous une pinède, la hotte à charbon se serait remplie par magie. Chacun choisira quelle légende croire.

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Premier arrêt : Saint André les Alpes

Au confluent de l’issole et du Verdon, Saint André les Alpes était en son temps une destination prisée pour accueillir des gens en villégiature venus prendre l’air des montagnes, comme en témoigne les nombreux hôtels de luxe encore présents. Aujourd’hui, on s’y rend pour profiter de son site exceptionnel de parapente, mais aussi pour découvrir les trains miniatures d’Adrien Coullet. Cet ancien ingénieur de la SNCF à la retraite, originaire du département, fait visiter ses modèles miniatures depuis une dizaine d’année, dans son jardin et son garage, inspiré par le Train des Pignes qui passe en bas de chez lui. Dans le jardin, il a su s’adapter au décor naturel en jouant avec les courbes et les reliefs pour construire une voie de rail de 200 mètres. Son décor est un clin d’œil au paysage local dont il s’inspire. Il invente des gares inexistantes comme celle de Couchon, construit de ses mains des tunnels et des ponts. Il n’y a qu’ici que les escargots font dérailler les trains. Des locomotives ont été chinées au marché de l’occasion puis remises en état qui se mêlent au monde du playmobil. Enfants et grands enfants vont pouvoir prendre les commandes de la locomotive et la faire avancer le long du circuit en la faisant siffler. Avec cet échange, Adrien Coullet entend transmettre l’histoire du patrimoine ferroviaire à la nouvelle génération, mais aussi leur apprendre les rudiments de la sécurité. Parfois, des vocations naissent. Et certains, reviennent pour voir l’avancement du circuit. Un pont tournant est d’ailleurs en construction.

Dans le jardin d’Adrien Coullet©EliseChevillard

La visite se poursuit dans son sous-sol. Le décor qu’il a imaginé ici pendant plus de 20 ans occupe tout l’espace. Plus de 150 mètres de voies ferrées et 10 mètres de routes s’insinuent dans cet environnement de montagne de béton et de plâtre. Tout est fait main. En autodidacte, il a appris le modélisme et se sert d’une imprimante 3D. Pour les arbres, il ramasse des branches et fabrique des feuilles avec de la mousse synthétique. Il faut, nous confie-t-il, de la passion, de l’imagination et surtout beaucoup de patience. Il a aussi récrée la gare de Saint André ainsi que sa propre maison. Au total, ce sont 11 trains qui tournent et passent dans un décor minutieux inspiré de la nature dans lequel il a reconstitué les plus infimes détails de la vie non dénués d’une poésie. Ici, un bus qui passe, là un camion de pompier, mais aussi un troupeau et son berger, des gendarmes sur le bord de la route. L’église donne même l’heure en sonnant les cloches. Il n’y a qu’ici qu’une locomotive suisse des années 40 croise la route d’un TGV. C’est l’ordinateur qui assure la synthèse de tout ce petit monde, des itinéraires des trains aux éclairages en passant par la sonorisation et la circulation routière.

Les visites sont sur rendez-vous. reseauminiatureStAndre@live.fr

Adrien Coullet©EliseChevillard

Adrien Coullet©EliseChevillard

A Saint André les Alpes, le Train des Pignes circule de nouveau. Dans chaque gare, des séquoias géants de Californie, des cèdres du Liban ont été plantés par des ingénieurs pour marquer leur ouvrage comme le veut une tradition. On s’installe alors près des larges fenêtres comme un écran de cinéma. Vitesse de pointe : 60km/h. Le paysage indomptable et sauvage est tel un livre ouvert et nous raconte son histoire. Les chefs de gare ont disparu, les gardes-barrières sont devenus automatisés, il ne reste plus rien de l’époque des grands buffets qui avaient lieu dans certaines gares. Les rails courent entre les épaisses montagnes qui les laissent passer, le train chancelle le long d’une vallée étroite, désenclave les villages accrochés aux collines comme La mure, Allons Argens ou encore Meailles. De couleur jaune et rouge, le Train des Pignes passe par des vallées encaissées, des hautes murailles à pics et des forêts touffues. La ligne joue à saute-mouton avec des viaducs, des courbes presque en épingle de cheveu. Soudain, le train pousse son cri, résonnant dans toute la vallée. Puis Annot s’annonce, avec le gris de ses grès.

Vue sur Annot©EliseChevillard

Deuxième arrêt :  Annot, voyage au grès des temps anciens

A mi-distance entre Digne et Nice, Annot est un joli village médiéval qui apparaît dominé par une couronne de grès protectrice. Il y a 35 millions d’année, le site des grès d’Annot se trouvait au fond de la mer alpine. Avec la formation des Alpes et la collision de deux continents, les grès se soulevèrent et formèrent ce que l’on voit aujourd’hui. Dans la vieille ville, le grès est partout. On le retrouve sur les lavoirs, les fours à pain, les arches, les trottoirs et les cheminées. Les maisons sont en galet de rivière et certaines semblent même encastrées entre des blocs de grès. Qui des deux étaient là en premier ? Pour découvrir toute l’histoire des grès, une balade de trois heures permet de mieux appréhender cette formation géologique qui semble avoir toujours été là, mais pourtant si récente à l’échelle de la terre.

©EliseChevillard

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Le point de départ de la randonnée se situe près de la gare d’Annot. En pénétrant dans l’épaisse forêt de châtaigniers, on découvre un chaos de blocs, brillants sous le reflet de la pluie. L’ambiance est mystérieuse, presque mystique. Apparaissent parsemés les premiers abris sous roche, preuve que dès le troisième siècle avant J.C, vivaient ici des hommes. Ces  habitations semi-troglodytes sont composées d’une roche plate en guise de toit. La promenade se poursuit à travers les châtaigniers qui continuent de pousser sur le grès, un arbre qui, il faut le rappeler, sauva des générations entières de la famine. Les falaises de grès façonnées par les éléments peuvent atteindre une centaine de mètres de haut et composent cet étonnant paysage onirique. Parfois, la pierre a accouché d’une boule due à l’érosion, comme un œil qui nous regarde dans la forêt. Des marmites se sont formées recueillant l’eau sur des bancs de grès. Dans la roche, des trous naturels servaient sûrement à attacher les bêtes. Aujourd’hui, ce sont les grimpeurs qui s’en servent. C’est ici leur paradis, leur terrain de jeu avec plus de 150 voies entre blocs et escalade traditionnelle. L’eau et le vent continuent de sculpter ces blocs et des formes apparaissent auxquelles les grimpeurs donnent des noms.

©EliseChevillard

Cette randonnée nous fait aussi traverser des défilés étroits jusqu’à la chambre du Roi. Le sentier pénètre dans des corridors plus serrés où les blocs de grès très hauts sont posés en équilibre dans un assemblage hasardeux, si bien qu’on se demande comment ils tiennent encore, résultat d’une fracturation et d’un effondrement dans la formation des grés. Parfois, ils se penchent les uns contre les autres et forment des arches. Sur les parois des rochers, la végétation grimpe pour chercher le soleil. Il faut se frayer un passage entre les failles de rochers puis plonger dans les entrailles pour ressortir dans la chambre du Roi. Dans cette cathédrale de pierre, une légende circule sur le fantôme d’un traître qui hanterait encore ces lieux. Il aurait fait tuer un Seigneur chrétien de Basse-Provence et sa princesse, tous deux venus demander asile dans cette grotte secrète. Des formes étranges, sont nées d’autres légendes. Comme celle qui inspira ce profil qui se découpe dans la montagne au pied de la haute barre de grès. Il s’agit de Lou gardian, une figure protectrice qui devait imposer le respect aux populations.

Le sentier qui redescend vers la gare par une forêt de châtaigniers, laisse entrevoir de beaux points de vue. Juste le temps de les admirer, et c’est l’heure de remonter dans le train, direction Entrevaux.

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Troisième arrêt : Entrevaux, la belle endormie médiévale  

Depuis les fenêtres du train, on aperçoit Entrevaux, perchée à 150 mètres et qui monte la garde sur la vallée du Var. Baignées par le fleuve, les maisons aux tuiles couleur sable et miel semblent s’enchevêtrer les unes dans les autres. On accède à la vieille ville par une unique porte et on se laisse dériver dans ses rues étroites et ombragées. Les façades fissurées font sentir l’effritement du passé. Ce village médiéval est construit sur un promontoire rocheux, coiffé d’une citadelle du XIe siècle et de remparts édifiés selon les plans de Vauban. Balafrée d’un chemin fortifié au XVIIe siècle, la citadelle prend ici des airs de grande Muraille de Chine. Cette antique ville-frontière joua un rôle décisif dans le passé, puisqu’elle marquait la frontière avec le comté de Nice. Du XVIIe siècle, il ne reste que sa porte, son pont levis, sa cathédrale ainsi que sa citadelle restée intacte. Le chemin escarpé en lacet nous y conduit pendant une ascension d’une trentaine de minutes. A l’intérieur de la citadelle, c’est une succession de pièces vides devenues lieux d’exposition, mais aussi de cellules des prisonniers de la Grande Guerre et de multiples points de vue sur la ville en contrebas et la vallée du Var. Un musée situé dans l’ancienne poudrière en bas de la calade retrace l’histoire militaire du lieu.

En reprenant le Train des Pignes, on passe devant les ouvrages des Éléphants, des ponts aqueducs  enjambant la voie ferré et on arrive à Puget-Théniers, notre quatrième arrêt.

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Le Train des Pignes à toutes vapeurs

C’est un dimanche comme un autre au dépôt de la gare de Puget-Théniers pour les bénévoles de l’association de la GECP (Groupe d’études pour les Chemins de fer de Provence). En bleus de travail et tenues d’époque pour certains, les mains noircis par les escarbilles pour d’autres, ils graissent les bielles de la locomotive et finissent de la préparer avant le départ. Ils sont informaticiens, retraités, conducteurs de train ou encore étudiants, tous ont en commun la passion des vieilles mécaniques et des wagons à l’ancienne. Créée en 1975, cette association qui compte 45 bénévoles, œuvre à sa sauvegarde et redonne vie au train à vapeur inauguré en 1892 et abandonné en 1951 sur la ligne Nice-Digne. Aujourd’hui, elle répare, entretient et fait circuler les dimanches et certain vendredis et jeudis pendant les vacances scolaires, l’un des derniers trains à vapeur de France entre Puget-Théniers et Annot, une voie exploitée par les Chemins de fer de Provence.  Il y a la locomotive E211, construite en 1923 par Henschel & Sohn pour les Chemins de fer du Portugal, mais aussi une autre de 1909 qui vient de Bretagne et présente des caractéristiques très proches de celles du Train des Pignes d’antan. Toutes les deux sont classées Monument Historique.

©EliseChevillard

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10H50. Le sifflet qui retentit annonce le départ imminent. Le train s’ébranle, lourdement, crachant une fumée noire et dense de charbon et de bois. Les voyageurs du dimanche ont pris place à bord des voitures en bois vernis datant pour la plus ancienne de 1892 et pour la plus moderne de 1911. Les banquettes en bois de cette dernière proviennent du métro de Paris. Les locomotives peuvent accueillir jusqu’à 368 personnes.

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Pendant le trajet, le train est ballotté entre les montagnes qui s’écartent pour le laisser passer, s’engouffre dans des tunnels, s’enveloppe de fumée. Vitesse de pointe: 40km/h. Ce voyage dans le temps est aussi un éloge à la lenteur. Petit à petit le doux cahotement nous berce. Soufflant, crachant, le train se démène dans la montée jusqu’à Annot avec 400 mètres de dénivelé. Un  peu capricieux, pas tout jeune, il  lui arrive de planter un chou, autrement dit de s’arrêter net  à cause d’une baisse de pression. Durant tous le trajet les bénévoles sont là pour vous faire partager leur passion. Les plus curieux peuvent même se rendre dans la première voiture où le conducteur se fera un plaisir de vous expliquer le fonctionnement de la machine à vapeur.

Il est 12 h 05, le train arrive à Annot pour une pause. Les voyageurs se dispersent pour aller déjeuner avant de reprendre la route en sens inverse. Le départ est fixé à 15 heures, le temps pour l’équipe de faire le demi-tour au pont tournant et de se restaurer.

A partir d’Entrevaux, la ligne fait la course avec le Var. On prend le temps de voir le paysage changer par les grandes fenêtres. En approchant de Nice, les vallées deviennent plus douces et les montagnes s’aplatissent, l’horizon s’élève et l’air marin s’engouffre faisant valser ensemble les pins et les châtaigniers sur une même partition. Les buis et les chênes annoncent le carrefour entre la mer et la montagne. Puis, le paysage s’ouvre sur la mer. Nice sous son insolent ciel bleu apparaît, les pieds dans l’eau, la tète un peu encore dans les nuages accrochés aux montagnes.

L’arrivée à la gare des Chemins de fer de Provence annonce la fin du voyage, ou peut-être le début d’un autre, dans l’autre sens.

 

Réservation sur  ticketstraindespignes.fr Le ticket est valable toute la journée. On peut descendre et remonter tant que l’on veut dans le train. Infos pratiques : Le Train Vapeur circule tous les dimanches du 12 mai au 27 octobre, les vendredis du 12 juillet au 30 août, les jeudis du mois d’août, les samedis 27 juillet, 26 octobre et 2 novembre 2019. En raison de travaux sur la ligne : Le trajet St André-les-Alpes/Digne-les-Bains sera assuré en autocar jusqu’à nouvel ordre.

Carnet d’adresses:

Où dormir ? A Annot, à l’hôtel  de l’Avenue, qui propose également un restaurant.

 

Un grand merci à l’Agence de Développement des Alpes de Haute-Provence sans qui ce récit de voyage n’aurait été possible.