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Panama : l’archipel des San Blas, des pirates aux robinsons

Par Paul Morinaud / Publié le 07.06.2020

Au nord du Panama, dans la mer des Caraïbes, ces centaines d’îles paradisiaques accueillent des voyageurs en quête de douceur de vivre et de beautés naturelles préservées. Ambiance “seul au monde” pour une expérience inoubliable.

 ©Arden, San Blas, Flickr

©Arden, San Blas, Flickr

J’ai toujours été un grand fervent de plages. De criques, de baies, d’anses. De tout ce qui mêle sable et eau, qu’il soit blond, blanc, brun, qu’elle soit turquoise, émeraude, outremer. À ce titre, j’ai eu l’opportunité d’admirer, d’arpenter, de caresser nombre de ces endroits poétiques. Et ce que je peux vous affirmer, c’est que les plages que l’on déniche dans l’archipel des San Blas sont d’une magnificence rare.

Presque aussi rares sont ceux qui, jusqu’ici, en connaissent la localisation, sinon l’existence. De quoi perpétuer le mystère enveloppant ce chapelet de près de 400 îles sises au nord du Panama, déposées sur la mer des Caraïbes. D’aucuns en dénombreraient 365, une pour chaque jour de l’année, mais il apparaît impossible de trancher. Quoi qu’il en soit, cela demeure amplement suffisant pour ne guère perturber d’un voisinage trop envahissant la plénitude de tout un chacun.

C’est dans un état d’esprit d’exaltation et de témérité que le périple s’initie. Car oui, c’est bien d’un périple dont on parle lorsqu’on tente de rallier ces lointaines contrées. Le road-trip débute à la capitale, Panama City, dès potron-minet. Environ deux heures mouvementées de 4×4 et deux barrages plus tard, l’embarcadère se dévoile. Des barrages ? Rien d’inquiétant, mais il s’agit de payer quelques taxes pour parvenir à bon port. Car le site que nous venons d’atteindre (aussi bien l’étroite bande de terre ferme que l’archipel) fait partie de la comarque Guna Yala. Soit une province vraiment à part sur le territoire panaméen.

 

 ©Guillaume Baviere,San Blas. Sur l'Isla Aguja. Flickr

©Guillaume Baviere,San Blas. Sur l’Isla Aguja. Flickr

Prendre la place des flibustiers et des colons

Les Kunas (ou Gunas) qui la peuplent furent le premier groupe indigène d’Amérique latine à gagner son autonomie – la situation perdure de nos jours. À la fin du XVIIIe siècle, ils occupaient encore exclusivement le « continent ». Seuls pirates et colons espagnols se disputaient les îles. Mais l’abondance de denrées dans les eaux de l’archipel attira petit à petit les Kunas vers le large ; à l’heure actuelle, près de la moitié des 70 000 individus de l’ethnie y résident. Quand on sait que les Kunas vénèrent la nature (et se plient à elle), cela paraissait inéluctable tant celle-ci est reine et fastueuse dans les San Blas.

C’est désormais notre tour de lorgner les Caraïbes et ces cailloux enchanteurs. À ce fameux embarcadère, chaque destination possède sa lancha (barque à moteur) dédiée. Il fait très, très chaud et l’air marin ne fera pas de mal, si ce n’est à ma peau déjà rougie. Embarcation repérée, direction : Orange Island. Le trajet d’une trentaine de minutes est gentiment houleux, mais méchamment arrosé. En chemin, on aperçoit une ribambelle d’îles de tailles incroyablement diverses, sans savoir sur laquelle de ces beautés nous poserons pied à terre. Excitant.

Le secret est rompu peu après ce dilemme quand nous foulons le sable blanc d’Orange Island. Le voilà donc, notre éden, et la première impression est loin d’être décevante, bien au contraire. Des huttes disséminées sous les palmiers, des hamacs de ci, de là, et la magie opère déjà. À peine le temps de poser bagage que l’exploration du havre est en marche. Dix minutes. Il n’en aura pas fallu plus pour en faire le tour. Quoique, la contemplation de l’horizon aurait pu durer des heures, avec tous ces micro-îlots qui nous entourent, de près ou de loin. On est bel et bien sur ce que l’on appelle un petit bout de paradis.

 

©descubriendoelmundo, Flickr

©descubriendoelmundo, Flickr

La mer se met à scintiller en pleine nuit

Le reste de la journée filera béatement jusqu’au dîner. Sous une grande paillote commune sont servis du filet de poisson grillé, des lentilles et du riz. Aussi simple que goûteux et régénérant. Quant à la digestion, elle se fait sur la plage, à une grosse quinzaine de mètres de là, où les hôtes se rassemblent en petits groupes sur des paréos. Quelques boissons, des partenaires de zénitude décontractés, du sable encore chaud, une brise tout à fait tiède, un environnement ensorcelant… Il est peu de dire que cette vie de robinson commence à merveille.

Le jour suivant s’inaugure sous les mêmes auspices, après une nuit silencieuse dans la moiteur caribéenne. Sous un soleil étincelant et dans une chaleur déjà zénithale, le « plan d’attaque » s’établit. Au programme ? Oisiveté, encore. Sans surprise. Ni culpabilité… L’excursion quotidienne vient tout de même doucement nuancer cette inaction. Cette fois, c’est de snorkelling autour d’une épave de bateau dont nous nous délecterons. Grand classique des alentours, il nous permet de plonger dans des rêveries de tricorne, de trésor et de cache-œil, tout en zigzaguant entre coraux et poissons tropicaux. Des intrigues corsaires plein la tête, le songe reprend sous les cocotiers de notre île, histoire de se remettre de tant d’émotions avant le dîner et les causeries nocturnes au bord de notre coquette baie. Ce bienheureux emploi de temps, étonnamment semblable à celui de la veille, nous amènerait presque à une routine salutaire et addictive.

Rebelote le lendemain, et personne ne s’insurge. Au menu : Isla Pelicano. Mais qu’a-t-elle bien de plus que notre cocon pour nous extraire de notre torpeur ? Premier élément de réponse en abordant ses eaux translucides : des étoiles de mer. Des dizaines d’étoiles de mer. Attention, pas touche, la vie de l’animal serait menacée. Et le plaisir des yeux suffit largement à profiter de l’insolite spectacle. Snorkelling, bronzette, brasses… À nouveau de difficiles moments après lesquels il faudra se relaxer, sur notre caillou. Nous ne manquons pas de le faire, d’ailleurs, au rythme du crépuscule, du repas de grillades puis d’une féerie inattendue : du plancton phosphorescent ! La mer scintille de façon miraculeuse dans la pénombre. L’ambiance est envoûtante et surréaliste. Le rêve se prolongera avec Morphée qui me repassera ces images en boucle durant la nuit.

Un paysage insensé difficilement accessible

Il sera compliqué, aujourd’hui, de faire mieux que ces délices de la nature. Mais voilà que se profile le point d’orgue du séjour : la découverte des Cayos Holandeses, les « îlots hollandais ». À peine le bateau parti que les vagues font parler leur autorité. C’est donc un peu chahutés (et mouillés) que nous arrivons à Isla Poque. Escale de charme, elle nous gratifie d’un décor photogénique à plus d’un titre, des souches d’arbres morts éparpillées près du rivage sauvage à la limpidité des flots qui la baignent. Spot privilégié pour un déjeuner entre ombre et lumière.

Deuxième étape très singulière à quelques tours d’hélice de là. Un micro-îlot d’environ 20 mètres sur 8 nous attend. Dessus, rien, pas un arbre, pas un brin d’herbe. Uniquement ce sable immaculé qui nous éblouit. Le soleil frappe dur, c’est donc dans l’eau qu’il convient de s’abriter. C’est alors que le show sous-marin s’engage. Les fonds sont sublimes, les espèces qui s’y ébattent, resplendissantes, et nos yeux derrière les masques, conquis. L’un de nos boatmen kunas s’essaie à pêcher la langouste à la main, avec succès. La soirée s’annonce réussie… Mais nous n’en sommes pas encore là, une halte finale est à l’affiche. Et quelle halte ! Une sorte de lagon, avec pas plus de 40 centimètres de profondeur un temps, une quinzaine ensuite, un frêle filet, enfin. Nous traversons ce paysage hors du commun en slalomant entre de gros coquillages sur une centaine de mètres, jusqu’à l’endroit où la mer reprend impétueusement ses droits. Alentour, catamarans et voiliers barrent prudemment, les manœuvres étant épineuses eu égard à la complexité aquatique des lieux. L’astre décline délicatement, nous prodiguant une soyeuse luminosité mordorée. Il est temps de regagner nos pénates, tout ébaubis par tant de grâce et de présents offerts au regard.

En guise d’ultime souper, de la langouste (fraîche, donc). Notre idyllique aventure de robinsons se clôt sur « notre » crique, évidemment, face aux Caraïbes, à leurs mythes flibustiers, à leur parfum d’aventure et de voluptés. Comment pourrais-je ne pas idolâtrer les plages, après tel divin interlude…