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Onsen, un plongeon dans ce bain japonais ancestral

Par Elise Chevillard / Publié le 29.07.2019

Onsen. Si ce mot tout droit venu du pays nippon ne vous dit sûrement pas grand-chose, peut-être avez-vous déjà vu les images de ces macaques japonais barbotant avec mollesse dans un bain brûlant en plein milieu des montagnes. Loin cependant d’être réservés aux singes, les onsen, sont depuis des siècles, utilisés par les Japonais qui aiment s’adonner à des ablutions dans ces bains d’eaux naturels aux multiples vertus pour le corps et l’esprit. C’est donc ici un retour aux sources que je vous propose, un voyage d’onsen en onsen, qui dessine la carte d’un autre Japon, plus traditionnel, comme ici à Yudanaka, petit village dont les vapeurs qui sortent du sol, viennent lécher les flancs des alpes japonaises qui l’entourent.

Province de Nagano, Snow Monkey Park

Province de Nagano, Snow Monkey Park

28 mars 2018. Au nord de l’île d’Honshū. Province de Yamanouchi. Petit village de Yudanaka. La nuit commence à tomber sur le village qui rentre dans l’ombre et s’enveloppe d’un silence entre chien et loup. Les cerisiers sont en fleurs, promesse d’un printemps qui arrive. Dans les rues, s’échappent des colonnes de vapeurs sulfureuses des entrailles de la terre et des eaux bouillantes. Seul le claquement sur le pavé des getas, socques en bois, vient répondre au doux bruit de l’eau  présent dans tout le village. Par groupe de deux, parfois en famille entière, ces curistes venus profiter des bienfaits des sources, arpentent les rues en pentes douces, bordées de boutiques de souvenirs, de bains publics et de Ryokan (auberge traditionnelle). Ces derniers, sont dotés pour la majorité de source chaude. La tradition veut que l’on déambule d’onsen en onsen. Chacun a revêtu un yukata, kimono léger en coton, qui leur permet de savoir à la couleur des tenues des autres passants dans quel établissement ils résident. Ce ballet nocturne est gracieux, presque surréaliste et d’un autre temps. En plein hiver, le yukata peut s’accompagner d’un tanzen, kimono matelassé, et de tabi, chaussettes qui séparent le gros orteil des autres.

Province de Nagano, Village de Yudanaka

Province de Nagano, Village de Yudanaka

Yudanaka est souvent la première étape des voyageurs qui arrivent en train et offre le premier accès aux sources thermales. Le village a conservé son charme désuet et suranné, avec ses temples perchés, ses nombreuses sources d’eaux chaudes qui invitent aux bains de pieds, ashiyu, et ses paniers d’œufs qui cuisent doucement dans les eaux bouillantes. En suivant la rivière Yokoyugawa, la ville de Shibu Onsen vaut aussi le détour.

L’archipel du Japon recense un peu plus de 27000 sources, qui jaillissent d’un bout à l’autre du pays, et plus de 3000 stations thermales situées pour la plupart dans les nombreuses régions montagneuses. Elles sont amenées et alimentées par la nature des sols volcaniques. A ne pas confondre avec les sento qui sont des bains publics en intérieur et dont l’eau est chauffée artificiellement.

Flickr.Hansjohnson.Beppu.Chinoike Jigoku.Oita Prefecture.Japan

Flickr.Hansjohnson.Beppu.Chinoike Jigoku.Oita Prefecture.Japan

Aux sources de la civilisation japonaise

Ces sources d’eaux chaudes sont fortement présentes dans la culture japonaise et ce depuis des millénaires puisqu’on les retrouve dans les contes et mythes locaux mais aussi dans des écrits remontant au VIIème siècle. Il se transmet une légende qui raconte qu’il y a 1400 ans, une cigogne blessée se serait trempée dans une rizière qui l’aurait instantanément guérie. De là, serait née la première source d’eau chaude. Longtemps lieux de vénération des kami (divinités shintô), ces sources chaudes vont à partir de l’ère Kamakura (1185-1333) servir de lieu pour les rites de purification et être utilisées comme traitement médical par les moines bouddhistes. Cette eau qui jaillit à 80 °C, est régulée dans les bassins dont la température peut varier entre 40° et 50 °. Elle est chargée en minéraux, riche en soufre, sodium, acide carbonique, et parfois en fer et aurait donc le pouvoir de guérir les maladies de peau, de soulager les douleurs articulaires, les problèmes de dos, les maux de ventre, et d’enrayer la fatigue. Au fil des siècles, cette coutume s’est transformée en une sorte de rituel pour les Japonais qui en raffolent et pour qui se rendre dans un onsen s’apparente aujourd’hui à un pèlerinage. Rituel de beauté pour le corps donc mais aussi pour l’esprit, on y vient pour se laver de ses fautes, s’y repentir, mais aussi pour se détendre et se relaxer, telle une parenthèse dans ces vies trépidantes. Plus que des simples bains thermaux, ce sont aussi des lieux de vie conviviaux ou viennent se retrouver des personnes de tous âges et de toutes les classes sociales. Se baigner est d’ailleurs tout un art, qui ne laisse rien au hasard.

Province de Nagano, Yudanaka, Onsen dans un Ryokan

Province de Nagano, Yudanaka, Onsen dans un Ryokan

L’art du bain japonais

Il faut savoir qu’au Japon, les sources thermales et les bains publics ne servent pas à se laver car les eaux des kami ne peuvent être souillées. Pour entrer dans les eaux chaudes claires ou sulfureuses, il faut être propre comme un sou neuf. Le respect des us et coutumes des onsen au Japon est donc primordial, et pour nous autres occidentaux, il est important de s’enquérir des quelques règles à respecter. Généralement, les bains ne sont pas mixtes, signalés par un rideau bleu pour les hommes et rouge pour les femmes. Ici, on prend le temps de la toilette, qui s’apparente à une longue méditation, à une véritable cérémonie aussi. Chacun doit retirer ses vêtements et les ranger dans des casiers prévus à cet effet, car la nudité est ici de rigueur et c’est dans le plus simple appareil que vous prendrez votre bain. Pour les plus pudiques, vous pouvez vous enrouler dans une petite serviette. Avant de plonger l’orteil, il vous faudra vous savonner avec rigueur et sans omettre une seule partie de votre corps, à l’aide du petit tabouret et de la bassine d’eau à votre disposition.Cette étape peut même durer une bonne vingtaine de minutes si vous observez du coin de l’oeil vos voisins. Vient ensuite l’étape du kakeyu qui va vous permettre de préparer votre corps pour la température chaude du onsen, qui peut paraître insurmontable à des épidermes non habitués. Pour ce faire, prenez la petite bassine et remplissez-la d’eau chaude. Versez cette eau sur votre corps en commençant par les extrémités. Cette même bassine vous permettra de vous rafraîchir d’eau froide tout au long du bain.Sachez, que dans la plupart des onsen, les tatouages sont interdits, car dans le Japon d’antan, ils étaient le signe de ralliement et d’appartenance aux Yakuzas, célèbres mafieux japonais. Une fois dans le bain, à chacun de rester le temps qu’il veut selon son ressenti. Respirer, profiter, sans oublier de respecter le silence et contempler le paysage si vous êtes en extérieur car de nombreuses sources se distinguent avec un cadre souvent extraordinaire.

Flickr.MizoguchicojiOutdoor onsen

Flickr.MizoguchicojiOutdoor onsen

Cadres magiques et expériences hors du temps

On trouve au Japon des onsen de toutes tailles, de toutes  formes (bois ou pierre) et de toutes couleurs, implantés dans des établissements publics ou privés, en intérieur ou extérieur (les rotenburo) pour profiter des paysages environnants pendant la trempette. Certains se cachent dans les montagnes, d’autres bouillonnent parmi les rochers sur la côte nippone et n’apparaissent qu’au gré des marées, d’autres encore sont plus confidentiels et s’expérimentent dans des ryokans. Voici une sélection de sources chaudes. Située au pied du mont volcanique Hiyori, Noboribetsu onsen est une station thermale alimentée par plusieurs sources à ciel ouvert. Dans le parc national Towada Hachimantai On vient se plonger dans les bains sulfureux du Nyûtô onsen kyô, d’un blanc laiteux face aux montagne. La région de Fuji-Hakone regorge d’onsen ainsi qu’au Nord de l’île principale, dans les Alpes dites Japonaises.  A une heure de route de Takayama, la ville thermale Shirahone Onsen se love dans une vallée à la nature luxuriante au pied du Mont Norikura. Mais, c’est dans l’île de Kyushu, au sud du Japon, où sont concentrées les plus grandes stations thermales du pays. A Yufuin, on observe des gigantesques fumées blanches s’échapper des toits de chaume, signe qu’il y a une source chaude dans l’habitation. Si vous êtes fan de dessins animés japonais, une visite s’impose à Dogo Onsen, dans la ville de Matsuyama sur l’île de Shikoku, dont le magnifique bain municipal a servi de modèle à la maison de bains du film « Le voyage de Chihiro », de Hayao Miyazaki. Et pour les plus aventureux, un peu partout au Japon, on trouve aussi des bains un peu moins traditionnels au vin, au thé ou encore du saké.

Flickr.LionelLeong.Winter.inHokkaidoNoboribetsu

Flickr.LionelLeong.Winter.inHokkaidoNoboribetsu

Mais la meilleure approche de l’onsen est sans doute de loger dans un ryokan, une auberge traditionnelle dotée d’une source chaude à différentes températures et qui se situe en intérieur ou en extérieur d’un bâtiment. A Yudanaka, le majestueux ryokan Kanaguya est chargé de plus de deux siècles d’histoire, et semble lui aussi tout droit sorti du film du voyage de Chihiro, avec ses 2 bains non-mixtes et ses 5 bains privatifs. C’est vêtu d’un yukata que l’on passera sa journée, entre baignade, repos et dégustation d’un dîner typiquement japonais. Le repas sera servi dans l’intimité de la chambre où l’on mangera sur le tatami, comme la tradition l’exige. Chaque plat, kaiseki, est un vrai tableau culinaire, avec une vaisselle en harmonie et que dire des saveurs en bouche. C’est en yukata aussi que vous ferez une promenade vespérale dans les rues du village et c’est enfin en yukata que vous dormirez dans le futon étendu sur les tatamis.

On l’a vu, les bains sont très prisés des Japonais, mais il y en a d’autres qui ne mâchent pas leur plaisir de barboter dans l’eau chaude. Ce sont les macaques japonais, ou singes des neiges.

Province de Nagano, Snow Monkey Park

Province de Nagano, Snow Monkey Park

Comme un singe en hiver

Dans les Alpes japonaises, à quelques kilomètres de Yudanaka, niché à 850 mètres d’altitude dans la vallée de la rivière Yokoyu, se trouve le Snow Monkey Park ouvert depuis 1964. Pour y accéder, il vous faudra traverser une haute forêt de pins, via un sentier de randonnée. Une fois dans le parc, un incroyable ballet se joue devant les touristes amusés. Ils sont des centaines de singes en semi-liberté à courir un peu partout, à jouer, et à guetter la nourriture que leur donne de temps à temps les gardiens du parc. Ils se prêtent au jeu des photos, prennent la pose et adoptent des attitudes étrangement humaines. Attention à vos affaires, ce sont de vrais chapardeurs. Par temps de neige, les singes viennent se réchauffer et se prélasser dans un onsen à ciel ouvert, spécialement aménagé pour eux et qui donne lieu à des grandes séances d’épouillage en famille. Gare à celui qui entre dans l’eau alors que le chef n’est pas d’accord ! Il finira chassé comme un malpropre à coups de cris et de morsures. Parfois, les singes s’éloignent de leur habitat et peuvent être vus sur les routes, voire même dans les villages un peu plus bas où ils n’hésitent pas à pénétrer dans les maisons pour voler des provisions, avant de retourner le ventre plein dans leur baignoire de roche, un peu plus haut près des nuages.