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Luxembourg-Ville : du Grund au Kirchberg, entre héritage et modernité

Par Paul Morinaud / Publié le 08.07.2019

Profondément attachée à ses racines mais résolument tournée vers l’avenir, fortifiée mais aussi bucolique, la cité de Luxembourg joue de son charme, tout en contrastes. Capitale européenne et du pays éponyme, la ville demeure pourtant loin des flux touristiques. Plongée dans ses mystères à travers deux de ses quartiers, aussi différents qu’emblématiques.

bvi4092 FlickrView from the city ramparts Luxembourg(CC BY 2.0)

Flickr.bvi4092.View from the city ramparts Luxembourg (CC BY 2.0)

Méconnu. Secret. Ignoré, même. Mais comment peut-on, en réalité, ne pas succomber au(x) charme(s) du Luxembourg ? Le Grand-Duché, certes petit par la taille, compense sa modeste superficie par une diversité de splendeurs insoupçonnable. Et sa capitale, fréquemment dénommée Luxembourg-Ville pour ôter toute confusion, en est une représentation idoine.

Avant toute chose, une brève introduction à la topographie particulière de la commune s’avère nécessaire pour appréhender au mieux ses centres d’intérêt. Au confluent des rivières Alzette et Pétrusse fûrent bâtis les villages, Grund, Clausen, Pfaffenthal. “En bas”, donc, à fleur d’eau. Sur le mythique rocher de grès dominant ces faubourgs modestes et tous les alentours, la Ville-Haute, fortifiée, fondée en 963. Enfin, toisant cette dernière sur une colline qui lui fait face, le plateau du Kirchberg. Et c’est là même que s’inaugure notre présente balade.

Au sortir du pont Grande-Duchesse Charlotte, le “pont Rouge”, s’initie l’imposante avenue JFK, large de 62 mètres. Cette artère délimite les sections nord et sud du quartier européen, partie occidentale du Kirchberg. Développé à partir des années soixante avec les institutions continentales, le secteur s’est par la suite vu confier les sièges de banques, de compagnies d’assurances, de grandes multinationales.

Stephan Lechner Suivre Luxembourg Kirchberg (CC BY 2.0)

Flickr.Stephan Lechner Suivre Luxembourg Kirchberg (CC BY 2.0)

Un concentré de grands noms de l’architecture

Au fil des ans, des architectes renommés ont apporté leur audace et leur savoir-faire au décor, de Richard Meier à Dominique Perrault, en passant par Claude Vasconi ou Gottfried Böhm. Outre leurs ouvrages acclamés, des installations de plein air rythment également une flânerie sur le plateau, vitrine de la modernité luxembourgeoise. Les responsables ? Des artistes tout aussi célèbres, tels les Américains Richard Serra (Exchange, une sculpture de 20 mètres pesant 37,5 tonnes !) et Franck Stella (Sarreguemines, réalisation industrialo-baroque), l’Allemand Markus Lüpertz (le bronze Clitunno), le Français Jean Dubuffet (Élément d’architecture contorsionniste IV, monumentale œuvre en noir et blanc)…

Ce cosmopolitisme artistique n’est pas anodin. Voyez : Luxembourg compte un peu plus de 115 000 habitants, parmi lesquels se rencontrent environ 140 nationalités différentes ! Un incroyable melting-pot, dont on prend facilement le pouls au Kirchberg, à l’heure du déjeuner ou des sorties de bureau. Le reste du temps, toutefois, il est probable de se retrouver complètement esseulé pour explorer la zone. Un plan d’urbanisation est en cours pour “donner vie” aux parages, via des bars, des logements, des commerces, mais la transformation va piano. Ainsi, déambuler le long des larges avenues désertes plonge dans un univers qu’on croirait emprunté à un film de science-fiction.

TristanSchmurr.we love MoshaCC BY 2.0)

Flickr.TristanSchmurr.Oeuvre.We love Mosha(CC BY 2.0)

En contrebas, les romantiques méandres de l’Alzette

Les curiosités à découvrir, elles, sont bien réelles. Cœur névralgique du district, la triangulaire et épurée place de l’Europe – conçue par Ricardo Bofill – accueille la majestueuse Philharmonie de Christian de Portzamparc. Les blanches colonnes de cette géométrique construction (par ailleurs estimée pour la qualité de sa programmation) étincellent sur les façades de verre des bâtiments avoisinants.

Le regard ébloui papillonne à 360° et flirte tantôt avec ces prouesses architecturales, tantôt avec les panoramas dégagés sur le centre. Dans la première catégorie, les yeux sont irrémédiablement attirés par le Mudam (musée d’art moderne Grand-Duc Jean), bijou géométrique de Ieoh Ming Pei. Abritant 4 800 m2 de collections éclectiques, les trois niveaux du très contemporain édifice sont érigés dans l’enceinte du fort Thüngen. Saisissant contraste entre le classicisme militaire et l’excentricité avant-gardiste… Tout autour de ce couple inattendu s’étend le paisible parc des Trois Glands. Les sentiers respirent la bucolique sérénité et filent en pente douce vers la cité historique.

En chemin, on rejoint le populaire circuit Vauban. Celui-ci, en plus de croiser de nombreux sites majeurs et de dévoiler des scènes esthétiquement privilégiées, emmène vers les “villages”. Notamment le Grund, en contrebas de la Ville-Haute et de la Corniche. Façonné par les méandres de l’Alzette, ce repaire du romantisme exhale le charme de l’ancien, avec ses petits ponts qui enjambent la rivière, ses rues pavées. Avec ses coquets potagers, il donne également du sens à l’un des surnoms de Luxembourg, “le cœur vert de l’Europe” – au minimum un quart de la ville serait composé d’espaces verts, de vergers…

quattrostagioni(CC BY 2.0)

Flickr.Quartier du Clausen Quattrostagioni(CC BY 2.0)

De faubourgs d’artisans à quartiers branchés

Mais le Grund n’est pas que paysages. Le Musée national d’histoire naturelle, ou Natur Musée, ravit jeunes et moins jeunes, d’intérieur comme d’extérieur. À quelques encablures, d’entre les toits en ardoise s’échappe la flèche élancée de l’église Saint-Jean-du-Grund. Quant à l’abbaye de Neumünster, qui la ceint, elle héberge désormais un centre culturel. Le quartier éponyme est un important lieu de vie depuis le Moyen Âge. Pêcheurs, meuniers, tanneurs occupaient le terrain, modeste, aux côtés des garnisons. Une ample vague de rénovations, dans les années quatre-vingt, a métamorphosé l’humble banlieue en zone branchée. Cafés, restos et autres night-clubs ont pullulé. Néanmoins, un parfum suranné flotte encore dans l’atmosphère et embaume les balades de séduisants effluves désuets.

Suivre le cours de l’Alzette amène peu après au Clausen, un village au passé et à l’itinéraire semblables. Ici, les résidents de l’époque furent plutôt des brasseurs, pour beaucoup. En cause, la présence de brasseries multicentenaires. Comme au Grund, les promenades au Clausen se révèlent poétiques, entre vieilles pierres et berges arborées. Comme le Grund, le Clausen a mué en un coin chic, prisé des badauds contemplatifs le jour, des noctambules exigeants ensuite. Rendez-vous incontournable pour ces derniers : les Rives de Clausen. Tout sauf un hasard, c’est sur un site brassicole antique, reconverti en 2008, que ce spot insolite regroupe bars, restaurants et boîtes de nuit. À nouveau, un cocktail de contrastes du plus bel effet entre les racines de Luxembourg et son effervescence actuelle. Avec, en arrière-plan, le Kirchberg, là-haut sur son plateau.