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Little India et Kampong Glam, l’exotisme à Singapour

Par Paul Morinaud / Publié le 25.02.2020

Malgré une réputation de pays aseptisé dédié au shopping, ce petit État d’Asie méridionale dissimule une culture séculaire et, surtout, multiethnique. Entre d’étonnantes découvertes écoresponsables, plongez dans ces quartiers où vous ne saurez plus très bien dans quelle partie du monde vous vous trouvez…

©Flickr. paVan_ Colourful building in Little India, Singapore. Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)

Quand j’ai annoncé mon voyage vers Singapour, beaucoup de personnes de mon entourage étaient surprises. Ne comprenaient pas pourquoi je prévoyais d’y passer davantage que quelques jours. Non, je n’étais pas “en escale” ; non, je n’allais pas “ailleurs après”. La “Suisse asiatique” était bel et bien mon but, ma destination. Pour être honnête, je ne savais pas trop non plus ce que j’allais y trouver, je n’avais pas de plan particulier, pas de “to-do list” à rallonge. Si ce n’est celle des mets à déguster et des restaurants à tester…

Qu’importe, me voilà donc débarqué sur cet ancien comptoir britannique fondé en 1819, désormais cité-État de plus de 5 millions d’habitants. Et ce que l’on sait moins, c’est que Singapour est constitué de 65 îles… Encerclé de tout bord par la mer de Chine, ce dragon asiatique environ cinq fois plus petit que le Vaucluse (mais trois fois plus grand que la Seine-Saint-Denis) est pour quasi moitié couvert d’espaces verts. Une belle vitrine au développement responsable, au tourisme durable, à la biodiversité sur lesquels “la ville du lion” (Singapoura, en sanskrit) a mis l’accent.

Mis à part la gastronomie et cette “green attitude” (et le shopping bien sûr…), le pays est connu pour son cosmopolitisme. L’ethnie chinoise est largement majoritaire (les trois quarts de la population). Dans le dernier quart, les groupes indien et malais sont les mieux représentés. Et c’est justement sur leurs traces que nous allons effectuer cette balade “exotique”.

Namasté, bienvenue à Little India. On est loin de la cohue récurrente aux villes indiennes, mais on se sent tout de même ailleurs que dans le Singapour “propret”. Et si on se laisse un peu envahir par le songe, on s’y croit facilement… Les façades et les volets colorés, en enfilade, sur Dunlop Street rappellerait presque l’État du Tamil Nadu. Je l’arpente, une fois, deux fois, trois fois et plus, dans chaque sens, et remarque à chaque trajet de nouveaux détails. La chaleur – 9 h 30 à l’horloge : 33 °C – ne me pose pas de problème, d’autant que les trottoirs sont le plus souvent abrités par les larges avancées des bâtiments, en forme d’arcades. Certes, on ne marche pas constamment sur les trottoirs, on n’est pas à Little India pour rien…

Statues divines, briyani mouton et bâtisses décrépites

Le quartier est essentiellement étalé entre la presque branchée Jalan Besar et l’animée Serangoon Road. Entre cette dernière et Race Course Road, on trouve la plupart des temples hindous, avec leurs airs de Madurai : le célèbre Sri Veeramakaliamman, facilement accessible, le Sri Srinivasa Perumal, point de départ du festival Thaipusam, ou encore le Sri Vadapathira Kaliamman, avec ses innombrables statues de divinités. Mes mirettes et l’objectif de mon appareil photo s’en donnent à cœur joie.

Retour au mitan du faubourg. La foule y est densifiée et se presse entre les “mini-markets”, les boutiques de tailleurs, les magasins de téléphonie mobile… ou fait une pause sur les chaises en plastique des terrasses – si caractéristiques, pour les initiés. J’avais coché Little India Arcade sur la carte. Sans forcément penser shopping, on y déambule, en intérieur, entre les stands de saris, ceux d’épices, d’artisanat. Classique. Ou, à l’extérieur, le long des étals d’encens, de fruits exotiques, de fleurs, d’offrandes… Odeurs et couleurs se mêlent, s’entrechoquent parfois, à l’instar d’une contre-allée sur un marché de Pondichéry.

©Flickr. Bernard Spragg. Little India Singapore.Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)

Une petite dose de Madras (Chennai, pardon…) ? Le grouillant centre commercial Tekka Centre, juste en face, m’accueille pour un repas mérité. Le choix y est monumental, “food court” (un grand regroupement de petits restaurants) oblige. Cela tombe bien, la nourriture indienne – mais pas seulement – y est l’une des plus savoureuses de la ville. Mon choix ce jour ? Un briyani (riz basmati, parfumé aux herbes et aux épices, plus noix de cajou) au mouton.

J’oublie vraiment qu’on est à Singapour. Serait-ce l’odeur de curry flottant dans Campbell Lane qui me fait tourner la tête ? Les vieilles bâtisses coloniales de Perak Road, parfois un peu décrépites, qui brouillent mon espace-temps ? Les tireurs/pousseurs de chariots, sur Clive Street, qui malmènent mon espace vital (et la circulation) ? Les clips et rythmes Bollywood, résonnant un peu partout, qui me donnent la fièvre au corps ? Toujours est-il que la promenade, à base de perte de repères et d’exaltation des sens, est enivrante.

D’Aladdin aux narguilés, en passant par les Instagrammeurs

En flânant sur la grande Jalan Besar, je croise le vénérable établissement Swee Choon, paradis des “dim sum” (les tapas chinois), étalé sur cinq locaux adjacents mais tout à fait hétéroclites. Je ne peux, évidemment, pas résister à m’attabler. Pas très indien tout ça, mais eh ! rappelez-vous, j’ai une liste de dégustations longue comme le Gange – ou la muraille de Chine, c’est selon.

Le calcul n’est toutefois pas si mauvais puisque je suis sur le bon chemin pour ma prochaine destination… En route, je croise une foultitude de “shophouses”, maisons mitoyennes traditionnelles ; je traverse la rivière Rochor, pratique point de repère des environs ; puis j’atteins la mosquée Malabar, avec ses dômes dorés et ses murs d’un bleu presque électrique, porte d’entrée de ma seconde étape : Kampong Glam.

©Flickr.Erwin Soo. The Sultan Mosque at Kampong Glam, SingaporeAttribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)

Kampong Glam, c’est le quartier musulman, arabo-malais, de Singapour. Authentique à souhait, préservé. Enfin, pour la plupart… Quand je débarque sur Bussorah Street et me fais alpaguer par des rabatteurs de restaurants de couscous, de mezze, de grill turc à la “derviche”, je renifle un peu le cliché. Ajoutons à cela les touristes qui posent pour la photo et l’allée de palmiers à la californienne, et le tableau est quelque peu inattendu. Heureusement, les bâtisses ont fière allure, leurs couleurs rutilent. Et, au bout de l’allée, je tombe nez à nez avec une beauté : la mosquée du sultan, coupole façon Aladdin, également de couleur or. Je commence à m’imprégner de l’ambiance ; les stéréotypes se muent en attraits séduisants. Des marchands de tapis me hèlent gentiment. Les narguilés fleurissent sur les terrasses et embaument les chaussées entières. Le charme exotique opère bien, ici aussi.

La touche orientale se retrouve bien entendu dans les noms de rue : Arab, Baghdad, Kandahar, Muscat Street… Bali Lane… C’est près de cette dernière que se trouve Haji Lane, LE spot magnétique qui attire tous les visiteurs. N’ayant pas listé au préalable les différents centres d’intérêt, je la découvre par hasard. Faisant fi des dizaines de serviteurs d’Instagram, je parviens à me délecter du cachet de la venelle branchée. Tables hautes pour boire un smoothie détox, magasins d’art, devantures bigarrées, cafés “healthy”, studio de yoga… En journée, on essaie de se faufiler et on fait un break bio et revigorant.

Dans les ruelles, sur les traces du “nouveau Banksy”

Kampong Glam regorge de ruelles. J’y chasse le street art, très présent dans le quartier. Rien de sauvage, tout est autorisé. On est toujours à Singapour… L’artiste le plus recherché ici est Ernest Zacharevic, un jeune Lituanien venu de Malaisie qu’on me présente – forcément – comme le nouveau Banksy. De nombreux listings recensent les fresques murales, qu’on pourrait traquer pendant des heures. Entre deux œuvres, mes yeux zigzaguent au hasard des maisons basses pour se fixer sur les gratte-ciel qu’on aperçoit en arrière-plan. Ravissant décor. On respire, avec ces constructions “à taille humaine”.

©Flickr.Erwin SooSuivre Panorama evening. Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)

Je profite de l’appétit qui refait gentiment son apparition pour m’installer au Zam Zam, une institution à Singapour pour le “murtabak”, crêpe/galette fourrée très populaire dans la péninsule arabique, notamment. Le restautant ne paie (vraiment) pas de mine et je suis le seul occidental à avoir poussé sa porte ce soir. Je me concentre religieusement sur mon “murtabak” au renne. Taille familiale, ce qui était probablement un peu présomptueux… Pleinement repu, de fait, je m’attelle à ma digestion en arpentant de nouveau les artères de Kampong Glam, alors que le soleil s’est couché. L’atmosphère est copieusement différente mais tout autant plaisante. Les lumières sur les dômes des mosquées transforment le flamboyant doré en mystérieux brun scintillant. À Haji Lane, la “faune” a évolué, elle aussi. Sous les néons, quelques recoins obscurs çà et là, mais, surtout, des effluves festives émanées des tables garnies d’expats, de voyageurs et de jeunes autochtones avisés. Ainsi, au Blu Jaz Café, concerts live agrémentent régulièrement la dégustation. Je n’ai plus vraiment faim ce soir… mais ma fameuse liste comporte aussi des boissons ! Le Singapore Sling par exemple, mythique cocktail créé dans le pays au début du XXe siècle. Je commande. Je me délecte. Et on se demande encore pourquoi passer du temps à Singapour…