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Escapade épicée à Kampot

Par Elise Chevillard / Publié le 24.07.2020

Au sud-ouest du Cambodge, dans une région rurale, la ville de Kampot, qui donna son nom au fameux poivre, vit langoureusement au rythme de son fleuve et se dévoile dans le charme paisible de son centre, loin de la touffeur des grandes agglomérations. Tout autour de la ville, l’or noir, rouge et blanc, pousse entre mer et montagnes, cultivé encore de manière artisanale dans les plantations poivrières. 

La Plantation. EliseChevillard© Tous droits réservés – 2019

140 kilomètres séparent la capitale Phnom Penh à Kampot. 140 kilomètres de routes cabossées, de nids de poule, où le bitume cède bien souvent la place au gravier. 140 kilomètres, soit 5 heures de mini-van.  Au bord des routes, les vaches sont maigres, presque plates, les détritus jonchent les bas côtés, des vendeurs ont installé leurs étals de viande (avec option mouches). La campagne se dessine au fond, les maisons aux toits en taules ondulées bordent la route circulante. Le mini-van dépasse des camions qui dépassent des scooters surchargés de toutes sortes de choses qui dépassent des enfants en vélos qui reviennent de l’école. Le trajet est épique, chaotique, mais authentique. Déjà l’air se fait plus respirable et fait oublier les 5 heures de tape cul.

EliseChevillard© Tous droits réservés – 2019

Kampot, d’une rive à l’autre

À Kampot, c’est la pluie qui nous accueille. Tropicale, elle bat ici la mesure, et ne manque pas de rafraîchir la touffeur qui persiste un peu. Parfois, c’est un coup de brise marine qui la chasse. Un tuk-tuk patiente pour nous amener dans notre guesthouse, située un peu dehors de la ville, après le grand pont, fait de bric et de broc. Notre chauffeur a noué son krama négligemment et ce dernier virevolte au vent dans une danse hypnotique. Décliné en plusieurs coloris, le krama est une écharpe traditionnelle en coton et originellement à carreaux rouge et blanc. Il sert à tout, aussi bien de serviette, que de turban pour se protéger du soleil, de couche pour les enfants et « même à remorquer des mobylettes en panne » nous raconte-t-on !

Le centre ville de Kampot. EliseChevillard© Tous droits réservés – 2019

En retrait du littoral de quelques kilomètres, sur les bords de la rivière Preaek Tuek Chhu, Kampot s’est développée au contact des colons français à l’aube du XXème siècle. De cette époque, il reste de jolies demeures coloniales un peu jaunies par le temps. Pour rejoindre le centre, il faut emprunter le vieux pont dégingandé qui enjambe la rivière. La nuit venue, le night market anime la ville. On y trouve de tout, du slip bon marché aux crocs de toutes les couleurs, en passant par l’incontournable krama ,des objets de contrefaçons, et des stands de nourriture. Il est situé juste à côté du rond point principale de la ville ou trône une statue géante de Durian, un fruit typique d’ici, à l’odeur repoussante, mais pas désagréable en bouche. 

Vue sur la rivière de Kampot.EliseChevillard© Tous droits réservés – 2019

En route pour découvrir la ville. Une douce langueur rythme nos pas et nous mène sur les rives de la rivière, bordée par de nombreuses maisons sur pilotis. Des rabatteurs tentent d’attirer les touristes sur leur bateau pour leur faire un tour de la rivière. Tout le long, les bars restaurants flottants s’alignent, éclairés de lampions. Portés par le bercement de l’eau, on s’y saoule doucement à coup d’Angkor ou de Cambodia, les deux bières locales. D’une rive à l’autre, les karaokés se répondent. L’eau et la brise portent les voix pas toujours justes jusqu’à tard dans la nuit et viennent jusqu‘à troubler le sommeil paisible de nos bungalows.

Sur la route pour aller à La Plantation. EliseChevillard© Tous droits réservés – 2019

Sur la route nationale 33

Ce matin, nous décidons de louer des scooters pour nous rendre dans l’une des nombreuses plantations de poivre que compte la région. Notre hôte nous a fourni une carte, et quelques explications sommaires plus tard et un scooter branlant qui semble rafistolé, nous voilà partis. Le trajet commence sur une grande route circulante où des camions nous dépassent à toute vitesse, faisant trembler notre frêle bécane qui ne manque pas de sursauter. Pas de panneaux ici, ni de feux, il faut alors oublier le code de la route. Le trajet se poursuit dans la campagne, la route change, elle devient plus difficile à dompter, ocre et poussiéreuse. Nous traversons des villages, des paysages, soulevons des nuages de poussière orange et dépassons des enfants qui se baignent dans les rizières et les ruisseaux. Il faut composer avec les trous, les flaques, éviter les poules et les chiens qui surgissent sur le chemin et souvent ( trop souvent) serrer les fesses. 

Vue depuis la route. EliseChevillard© Tous droits réservés – 2019

Il faut aussi s’arrêter pour faire le plein. Sur le bord de la route, des petits vieux vendent des bouteilles en plastique remplies d’essence, mais aussi des glaces dans le congélateur improvisé. De temps en temps,nous croisons quelques vélos et scooters avec des femmes en amazone. Des camions chargés pleins a craqué de locaux  souriants nous dépassent. Les paysages sont parfois lunaires et rocailleux, parfois verdoyant ponctués de palmiers à sucre et de rizières où broutent les buffles d’eau. Après une vingtaine de kilomètres qui semblent une éternité, après quelques ratés, et détours voulus et d’autres non, un panneau nous indique la Plantation. Comme un mirage dans ce désert, elle se dessine au loin derrière la poussière de la piste.

Entrée de La Plantation. EliseChevillard© Tous droits réservés – 2019

L’histoire de l’or noir

Autour de Kampot, l’histoire du poivre est plus que centenaire. Les premières plantations auraient été implantées par les Chinois dès le XIIIème siècle. Pendant la période coloniale française, la culture est à son apogée, mais dans les années 1970 tout s’effondre. Après la guerre, les Khmers rouges préfèrent se concentrer sur la culture du riz. Il faut attendre 1999 pour que les que les plantations poivrières repartent. Aujourd’hui, et depuis 2010, le poivre de Kampot  bénéficie d’une IGP avant de recevoir, et même du label européen AOP depuis 2016. Il garnit les poivrières de toutes les grandes tables du pays, et sa renommée dépasse même les frontières. De nombreuses exploitations de poivre proposent de découvrir son histoire et sa culture, comme ici à La Plantation.

EliseChevillard© Tous droits réservés – 2019

La Plantation, un projet social, architectural et durable

Guy et Nathalie, un couple franco-belge installés au Cambodge, sont tombés dans le poivre en 2013. De ce terrain en friche qu’ils achètent, ils ont en fait une oasis luxuriante où poussent les fameuses graines avant d’être conditionnées.  Tout est fait sur place dans le respect des savoir-faire. Mais leur projet va au-delà. Il est aussi social. Grace aux recettes engendrées par la vente du poivre, ils ont créé une école, et permettent ainsi aux enfants des villages alentours d’accéder à l’éducation. Leurs employés sont exclusivement de locaux. Le projet est aussi architectural. Le couple a sauvé de la destruction, et reconstruit sur le terrain des maisons khmères traditionnelles et centenaires, dont 2 Sala Chan, les réfectoires des moines tout en bois. Leur projet s’inscrit dans une démarche durable et de protection de l’environnement : permaculture, reforestation, recyclage des déchets et compostage, réservoirs d’eau pour collecter les eaux de pluie, ferme de panneaux solaires. Aucun pesticide n’est utilisé ici.

Les graines de poivre. EliseChevillard© Tous droits réservés – 2019

Visite et dégustation

Saviez-vous que le poivre était une liane qui s’enroulait autour d’un grand tuteur en bois ? Que les trois sortes de poivre, noir, blanc ou rouge, provenaient d’une seule et même plante ? Ou encore que c’était un puissant anti-inflammatoire ? Toute l’année, la Plantation propose une visite dans ses poivriers suivie d’une dégustation. Ce jour-là, c’est le propriétaire lui-même qui nous entraîne dans le domaine. 

EliseChevillard© Tous droits réservés – 2019

Ici tout pousse. La terre est généreuse, fertile. Le vert des feuilles de palmier et la végétation luxuriante tranchent avec les pistes rouges et sèches qui entourent le domaine. On commence la visite par une promenade le long des cultures en plein air. Elles sont baignés par les timides vents marins qui parviennent jusqu’ici.  Pluie et soleil profitent aussi à leur épanouissement. Plantées en rangs d’oignons, les plantes grimpent le long de piquets de bois, telles des lianes luxuriantes, elle s’y enroulent. C’est elles qui produiront la précieuse baie. Le poivre pousse comme un chapelet de petites billes que des mains délicates viendront cueillir entre octobre et mai. Il faudra parfois se percher sur une échelle pour atteindre les graines, car la plante peut monter jusqu’à 3 mètres.

Le cueilleur de poivre. EliseChevillard© Tous droits réservés – 2019

Ce sont les femmes ensuite qui trieront un par un les grains de poivre, à la main pour ne pas abîmer cette graine fragile. La couleur du poivre différera selon la maturité des baies. Vert, il se consomme frais. Le poivre rouge, lui, se récolte quand il est mûr (c’est le soleil qui lui donne sa couleur). Le poivre noir ( le plus fort en goût) est issu de baies matures exposées et séchées au soleil tandis que le poivre blanc correspond au fruit mûr dont on a débarrassé sa baie. Ce dernier sera ensuite plongé dans l’eau afin d’extraire naturellement l’enveloppe externe des grains de poivre, puis séché au soleil. Les différents poivres seront ensuite conditionnés dans des petits sachets réalisés soit à partir de matière recyclée, soit cousus par des couturières.

EliseChevillard© Tous droits réservés – 2019

En plus de proposer des poivres rouges, blancs, et noirs, la Plantation est toujours à la recherche d’innovation et n’hésite pas à oser de subtils mélanges comme ce poivre au Sel TM, mais aussi des préparations à bases de plusieurs épices. Car ici, on ne cultive pas seulement le poivre. D’autres épices ont trouvé leur place au soleil, comme le curcuma que Guy nous fait découvrir dans une serre. La visite se termine par une petite dégustation. Chaque poivre a un parfum bien à lui, fleuri, fruité, terreux ou fumé. Après avoir écrasé la baie noire dans la bouche et passé le premier picotement, ce sont des notes fleuries d’eucalyptus et de menthe qui explosent en bouche. Le blanc lui, apportera des notes plus épicées et aussi acidulées pour accompagner un poisson blanc. Quant au rouge, il viendra relever un dessert. 

EliseChevillard© Tous droits réservés – 2019

La dégustation nous ayant ouvert l’appétit, on profite du petit restaurant installé au sein de la Plantation. Sur la carte : Lok Lak aux trois poivres fraîchement moulu, ( l’un des plats khmères traditionnelle à base de bœuf mariné) , curry de légumes ou encore travers de porc caramélisés au poivre long rouge. Au dessert, un large choix de glaces dans lesquelles se sont glissées les grains rouges et noirs.

Face à nous, le soleil se couche doucement avec en toile de fond les reliefs des montagnes du Bokor et les hauteurs luxuriantes de la chaîne de l’Éléphant. Les ombres s’étirent sur le lac Secret. Une brise timide se lève, nostalgique et marine, elle nous chuchote notre prochaine destination, l’île de Koh Rong Samloen. 

EliseChevillard© Tous droits réservés – 2019

Où dormir ? Où manger ? Que faire dans les alentours ? Voici notre carnet d’adresses:

A Kampot, un peu à l’écart de la ville, sur l’île des pécheurs, le Fish Island Bungalows propose de charmants bungalows traditionnels. Dans la chambre, la moustiquaire donne l’illusion, tout autour c’est la jungle ou presque. Le soir, vous pourrez déguster une cuisine cambodgienne, des plats simples à base de riz, de viande et de poisson au petit restaurant de la guesthouse, toujours en bonne compagnie du propriétaire prolixe ! Le matin, il vous servira un petit déjeuner occidental. Dans la ville de Kampot, les restaurants ne manquent pas, et se situent soit en bordure de la rivière rive droite et dans les rues adjacentes, mais aussi en centre-ville.

La Plantation. Ouverte tous les jours de l’année de 9h à 18h. Visites gratuites et disponibles en khmer, français et anglais. Restauration sur place. Adresse : Bosjheng village, Kampot. Vous pourrez vous inscrire à un cours de cuisine pour apprendre à préparer des spécialités khmères avec les épices, mais aussi expérimenter une balade au rythme des buffles d’eau sur le lac Secret.

Dans les environs : Kep-sur-mer » est une station balnéaire qui se trouve à environ 30 minutes de Kampot, où vous pourrez déguster le célèbre crabe bleu au marché à poissons.

À l’ouest de Kampot, la station d’altitude de Bokor est une ancienne station climatique française abandonnée et située sur un plateau culminant à 1 000 mètres au cœur du parc national de Preah Monivong.