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Israël : Jaffa, mélodies, tempo, harmonie

Par Paul Morinaud / Publié le 20.03.2020

Sœur siamoise de la métropole Tel Aviv, la cité côtière de Jaffa, sur le littoral israélien, baigne dans la plénitude, entre terrasses, parcs et marché aux puces. Halte contemplative et épicurienne dans ses ruelles et sur son port, symbole de la mixité depuis l’Antiquité.

Old Jaffa, sama093, https://www.flickr.com/ (CC BY-NC 2.0)

Une marque de jus de fruits ? Le sorcier vizir qui menace Aladdin ? Une danse “de Broadway”célébrée par Michel Sardou ? Plus ou moins… Jaffa c’est surtout une ville, plus exactement Tel Aviv-Jaffa, importante métropole du littoral israélien. Si les oranges sont bel et bien une précieuse denrée du cru, que le grand méchant Jafar de Disney pourrait plausiblement être originaire de la région et que l’on doit probablement y trouver des salons où danser la java, nous nous intéresserons toutefois à l’antique cité, cette fois-ci.

Direction donc l’ouest d’Israël, aux extrêmes rivages orientaux de la mer Méditerranée. Son nom, Jaffa le tirerait d’un mot hébreu, “yaffa”. La signification ? Belle. Ça ne s’invente pas… et c’est loin d’être galvaudé. Mais au-delà de l’aspect esthétique, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir au fil de cette balade, c’est le côté historico-culturel qui s’impose en premier lieu. Et il y en a à raconter quand il s’agit d’une ville multimillénaire, d’un des ports les plus anciens du monde. Était-ce en raison de cette position stratégique que Napoléon mit la commune à sac ?

De tous temps, c’est effectivement Jaffa qui fut la porte d’entrée d’Israël. Un carrefour culturel, religieux. Une patrie faite de mixité et de tolérance, une terre d’accueil, à l’image des grandes villes étapes de l’Orient. En somme, une sorte de caravansérail balnéaire entre Méditerranée et route de la Soie. Cette coexistence entre peuples a d’ailleurs longtemps perduré, toutefois “récemment” effritée par des tensions immobilières. Mais une certaine douceur de vivre flotte toujours dans l’atmosphère, comme retenue par les remparts qui ceinturent Jaffa et sa colline.

Le marché aux puces, magasins vintage et terrasses secrètes

Ce n’est qu’au mitan du siècle dernier que cet “éden” et Tel Aviv fusionnent. Un seul patronyme, dès lors, mais rarement utilisé de la sorte ; aujourd’hui encore, on va à Tel Aviv, et on visite Jaffa. Et c’est à la fois le passé et le présent qui s’entrechoquent dans la partie “Jaffa”. Ou quand l’histoire, les traditions, rencontrent quelque élan de créativité contemporaine. Ce quartier – considérons-le comme tel, donc – est un peu à Tel Aviv ce que Montreuil serait à Paris. Shoreditch à Londres. Voire Trastevere à Rome. N’en jetez plus…

Et concrètement, ce tableau “brooklynesque”, il donne quoi ? Des réhabilitations, forcément – à l’instar de ses lointaines jumelles internationales –, comme celle de la zone de la place de l’Horloge, premier point de contact côté “ville”. Lignes mauresques, teintes ocre, le tout se dessinant parfaitement dans un ciel presque constamment d’azur. Au sol, des rues qui serpentent de magasins vintage en terrasses ombragées. On badaude au marché aux puces, le Shuk Hapishpishim. On croise des impasses abritant moult cafés à la déco surannée, puis des devantures dissimulant des arrière-cours privilégiées. Le choix se fait embarrassant… On se surprend à lécher les vitrines des boutiques de créateurs branché(e)s. À fouiner dans les magasins d’antiquités avec l’intrigant espoir de dénicher une belle pièce tout bonnement impossible à caser dans les bagages. On s’attable chez Dr. Shakshuka, et ainsi de déguster ce qui peut se faire de plus fameux en matière de chakchouka, à savoir des œufs cuisinés dans une sauce tomate épicée. Un délice, accessoirement… Peut-être un jus de grenade ou un malabi (flan/pannacotta/pudding à base de lait et aromatisé à l’eau de fleur d’oranger ou de rose) plus tard et voilà assez d’énergie pour découvrir le reste des réjouissances.

Au théâtre, des troupes juive et arabe créent ensemble

En guise de hors-d’œuvre, l’Abrasha Park, un parc “en terrasses” sur les hauteurs de la forteresse Jaffa. Récompense : le panorama sur le littoral, qu’on jurerait à perte de vue si une brume écumeuse ne venait brouiller les pistes. Qu’importe, la côte qui fuit vers le nord tel un mirage, bordée de sable accueillant, d’espaces verts, de rochers savamment enchevêtrés, est réelle et se retrouve jalonnée, ci et là, de bâtiments aussi contemporains que réfléchissants. Délicieuse et lumineuse skyline.

Tel Aviv skyline, BernieCB https://www.flickr.com/
(CC BY-NC 2.0)

Nombreuses sont les allées à gentiment descendre vers l’église Saint-Pierre, autre point de repère de Jaffa. En route, pourquoi ne pas s’égarer un peu dans les jardins et rallier le théâtre de Jaffa ? Un heureux symbole de la singulière “harmonie” qui existe ici : une troupe arabe et une troupe juive y organisent en effet des spectacles, parfois conjointement. Au-delà d’une programmation – théâtre, musique, danse… – de qualité, l’historique cadre mérite à lui seul un attentif coup d’œil. Ainsi se drape la culture dans ses pacifiques habits sociétaux.

Chemin repris vers la néobaroque église Saint-Pierre, adjointe de son aérien clocher. Les squares qui la ceignent sont larges, on respire, malgré l’importante concentration de curieux par l’architecture alléchés. Alentour, celle qu’on appellerait la vieille ville prend ses marques et son origine. Elle n’est pas tout à fait déserte, mais ce ne serait pas exagérer que de louer sa tranquillité. Elle aussi réhabilitée, elle exhibe fièrement ses ruelles pavées proprettes. Les magasins trendy font place aux ateliers et galeries d’artistes. Il est aisé – et conseillé – de s’y perdre ; de flâner de surprise en surprise dans ces allées où notre propre ombre ne parvient à se faufiler. Seul l’appel de la mer réussit à s’immiscer dans le dédale. Et il se montre insistant…

Old Jaffa, Markus Trienke https://www.flickr.com/,(CC BY-NC 2.0)

Crevettes, calamars, friture… à déguster sur la jetée

En réponse à la tentation, direction le port, auréolé de son séculaire phare rouge et blanc. Pour une simple balade, une pause en-cas ou une halte rafraîchissante, c’est LE spot éclectique à cocher sur la liste. Les familles y promènent une poussette aux côtés de jeunes habillés dernier cri, les touristes bien renseignés y scrutent de vieux loups de mer… Car le port de Jaffa n’est pas un décor factice, il est en grouillante activité. C’est d’ailleurs l’un des principaux buts de la visite : commander (au prix d’une file d’attente parfois insolente) les fruits de la pêche nouvellement débarquée, calamars, friture, crevettes… On récupère sa pitance et on s’installe à proximité – qui sait, une envie de rab est fort possible –, où place se fait : un banc ombragé, une table en plastique blanc, un combo tabouret/tonneau d’un bar voisin… Les haut-parleurs des différents établissements crachent, côte-côte, chacun leur musique, moderne ou plus traditionnelle. L’ambiance se fait… étonnante, quoi qu’il en soit magnétique et décontractée. Instant de grâce et de plénitude sur la rade, frappée de lumière balnéaire.

Oleksii Leonov, https://www.flickr.com/ (CC BY-NC 2.0)

L’autre partie du quartier du port, en rebroussant vers Tel Aviv, se révèle autrement plus “chic”. Les terrasses, néanmoins agréables et prisées, deviennent plus sages, plus “classiques”. C’est alors que le boardwalk, qui se love contre la grande bleue, reprend ses droits. Et la skyline de rejaillir en pièce majeure du tableau. Pendant que les rais scintillent en gambadant sur les gratte-ciel, une toile de maître se dessine en face, côté mer. Le coucher de soleil, attendu et scruté par une foule de spectateurs, rougeoie au-dessus des flots, emportant avec lui les silhouettes des navires… et la chatoyante beauté de Jaffa. Qui renaîtra plus radieuse que jamais, le lendemain, toujours aussi harmonieuse. Bonsoir yaffa, Jaffa la belle.