Colombie

Colombie: flânerie secrète à Carthagène-des-Indes

Par Paul Morinaud / Publié le 08.03.2024

Entre bastion pirate déluré et cité coloniale chic, Carthagène a de quoi surprendre. Pas facile de se retrouver dans le dédale des rues, sous le soleil caribéen. Pas de panique, on vous guide entre les beautés de la célèbre cité colombienne.

©Gentlemen Travellers

 

“La vertu principale d’un homme, c’est de savoir garder un secret.” Feu Gabriel Garcia Marquez, écrivain colombien vénéré par ses compatriotes, concevait ainsi la nature humaine. Aujourd’hui, il est temps de se montrer très peu vertueux, en explorant sous toutes les coutures la capitale du département de Bolivar et de ce fait trahir ses ultimes mystères. Car des visiteurs, Carthagène-des-Indes en voit pourtant défiler. Dans les deux millions par an. Il n’empêche: cette cité du XVIe siècle s’émancipe, se renouvelle, se dévoile perpétuellement.
Épicentre de la créativité, le quartier de Getsemani occupe les frontières sud-est de la vieille ville. C’est le district populaire, historiquement contestataire, celui dans lequel les grands mouvements indépendantistes et résistants sont nés. Désormais, un souvenir de fierté mâtinée de vitalité souffle dans les ruelles. On y reconnaît les décors de clips d’artistes (nationalement) renommés, la Callejon Ancho, la Callejon Angosto, avec leurs guirlandes composées de drapeaux, de sacs en plastique, si caractéristiques.
Des arbres à perroquets bruissent…
Dès potron-minet, il faut partir à la conquête des lieux. Les allées sont désertes; on ne croise que de rares retardataires, sur le retour d’une nuit caliente à danser la champeta –la musique la plus répandue dans les établissements nocturnes. Les trottoirs sont encadrés de longs murs quelque peu décrépits, toutefois ranimés par les couleurs éclatantes de fresques géantes. Des tons étincelants que l’on retrouve dans les “arbres à perroquets”. Les volatiles, éblouissants, se rassemblent en masse puis s’envolent telle une seule bête. La nuée est captivante à scruter, mais aussi à ouïr puisque des dizaines de battements d’ailes fendent l’air simultanément, en rythme.
En guise de petit déjeuner, une délectable pâtisserie savourée près d’un comptoir extérieur et quelques morceaux de pastèque coupés par un vendeur ambulant. Il est grand temps de gagner le château San Felipe de Barajas, hors le centre, avant que la chaleur ne soit trop accablante. Une brève montée plus tard et on pénètre les entrailles de ce fort pluricentenaire, ses geôles, son labyrinthe de galeries. Plus haut encore, au milieu des canons et des crénelages, c’est un panorama sur la cité quasiment exhaustif que l’on découvre à 360 degrés. Et pour grimper toujours davantage, rendez-vous au Convento de la Popa, point culminant de la commune (150 mètres), perché sur sa colline. Ici, on admire tous les environs, et notamment leur fascinante topographie, constituée de baies, de marais et de langues de sable qui s’étirent à l’infini.

©Gentlemen Travellers

La farandole des ombres sur le pavé
Retour dans l’enceinte des murailles de Carthagène-des-Indes, d’ailleurs l’un des bastions les mieux fortifiés d’Amérique. Désormais, les Carthagénois –un gentilé partagé avec les habitants de l’homonyme espagnole– sont bel et bien sortis de la torpeur qui régnait depuis les lueurs de l’aurore. Les artères d’El Centro se garnissent pareillement d’autochtones et de touristes. Pour le déjeuner, il y a l’embarras du choix. Une des meilleures options ? Les butifarras, des boulettes de viande fumée, à déguster assis sur le banc d’un square élégant, avec un jus de fruits de la passion. Une pause bienvenue alors qu’un soleil de plomb s’abat sur le dédale de venelles, dessinant une farandole d’ombres géométriques sur les pavés. Avant de reprendre la balade, une inestimable baignade s’impose. Les auberges coquettes sont pléthore et jouissent fréquemment d’une piscine, encerclée par des balustrades en bois, des hamacs et de la végétation exotique. L’environnement est privilégié, l’envie de farniente à son comble, mais l’appel de la curiosité se fait rapidement ressentir…
C’est donc avec un engouement enfantin que l’on rejoint la Puerta del Reloj (Porte de l’Horloge), l’entrée la plus fréquentée de la zone fortifiée. De là, il faut se décider à emprunter une des voies qui s’élancent de la Plaza de los Coches. Le dilemme est cornélien puisque chaque direction paraît receler des merveilles. Mais ce n’est pas qu’une impression! Augustes églises (Santo Domingo, San Pedro Claver…), palais raffinés (Inquisicion…), places arborées (Bolivar, Aduana…), on ne saurait presque plus où donner de la tête, eu égard à l’abondance de chefs-d’œuvre. Et ce serait sans compter sur la romance qui embaume l’atmosphère. En calèche, on déambule au cœur de basses maisonnettes ensevelies sous les bougainvillées, de fontaines ciselées avec délicatesse. Les sens sont émoustillés et on se rêve même à rejouer des scènes mythiques sur les balcons coloniaux, omniprésents le long des façades pastel.

©Gentlemen Travellers

Un dîner dans un patio étoilé
L’ambiance passionnée perdure en haut des murailles. On y croise, dans toutes les “niches”, des couples de jeunes Cartageneros qui se susurrent des mots doux face à l’océan. Cette marche sur les remparts, idéale en fin d’après-midi, permet de contempler Carthagène avec un autre regard, sous un angle différent. Le tableau est tout autant délicieux, essentiellement grâce aux rais de lumière caressant chaudement les bâtisses. En apothéose de cette flânerie, l’arrivée au Café del Mar. Il s’agit sans conteste de l’endroit le plus réputé pour célébrer le coucher du soleil. Nombreux sont les aficionados regroupés face à la mer des Caraïbes, et les places attablées se révèlent précieuses. L’exaltant spectacle prend toute sa valeur lorsque les voiles des kitesurfeurs virevoltent dans les teintes crépusculaires, et que l’astre se dérobe lentement mais sûrement derrière les flots. C’est également l’occasion de distinguer la skyline de Bocagrande. Cette presqu’île, à cheval entre la mer et la baie de Carthagène, abrite les nouveaux secteurs touristiques, aux infrastructures modernes, parfois ultra-luxueuses. Derrière les néons de ses gratte-ciel, on tente de deviner les silhouettes des îles alentour: Tierrabomba, Baru, Grande, Rosario… Mais il est trop tard, leurs lointains littoraux sont petit à petit perdus dans l’envoûtante obscurité, et le sombre horizon semble jalousement protéger ses joyaux. Excellent prétexte pour programmer une croisière le lendemain et ainsi goûter aux joies du snorkeling ou des plages caribéennes.
Pour l’heure, les pieds demeurent bien sur terre, malgré la tête dans les nuages. Le dîner vient parachever une promenade richement et superbement remplie. Cette conclusion se déploie de fort belle façon, dans l’arrière-salle d’un restaurant du quartier San Diego. Là, dans le patio à ciel ouvert, on déguste tapas et fruits de mer à la mode colombienne. Entre deux plats, on lève les yeux vers les étoiles, on devise de tout et de rien. Puis, pour décrire au mieux la journée, on cite Garcia Marquez: “La vie n’est pas ce que l’on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s’en souvient.” Au vu de l’éventail de récits du jour, autant dire que Carthagène et ses mystères ont encore maintes vies devant eux.