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Albanie : Berat et Gjirokastër, les fausses jumelles

Par Paul Morinaud / Publié le 12.10.2020

Au cœur de l’Albanie, ces deux cités antiques lovées dans les collines cumulent les similitudes. Berat la Blanche et Gjirokäster la Grise, avec leurs bâtisses historiques dominées par leur citadelle perchée, exhalent un doux charme médiéval. Mais chacune, évidemment, possède sa propre personnalité, entre culture et gastronomie. Découverte au fil des ruelles pavées…

Roman-bridge-berat-albania-tourism, ErvinGjata

Attention, alerte joyaux ! Avec l’Albanie, déjà. Un pays qui s’inscrit de plus en plus sur les routes touristiques européennes. Un nombre croissant de voyageurs cochent sur leur “wish list” cette contrée coincée entre Grèce, Macédoine du Nord, Kosovo, Monténégro et mer Adriatique. La raison ? Grand dieu, elles sont trop nombreuses, et un article de 100 pages ne suffirait pas à les détailler. Attardons-nous toutefois sur deux d’entre elles, ou plutôt sur deux écrins à ces multiples découvertes que recèle l’État balkanique.

Environ deux heures de route de Tirana permettent de rallier le premier, à savoir Berat. Oubliée, l’effervescence de la capitale, place à la douceur de vivre des collines. Après les embouteillages et les avenues à rallonge, le calme et les ruelles tortueuses, de chaque côté de la rivière Osum. Rive gauche, Gorica, au pied du mont Shpirag. Tranquillité assurée. Quelques restaurants – bonne franquette ou plus classieux –, quelques auberges/maisons d’hôtes, et le tour est joué pour une insolente plénitude. Écouter le cours d’eau susurrer ses remous. Scruter les cimes enneigées du mont Tomorr (2 417 mètres), extirpées des nuages, au loin. Zyeuter par-dessus une porte secrète, dérobée au gré d’une allée de terre ou planquée à l’ombre de l’une des deux églises. Se perdre dans les chemins escarpés qui s’échappent vers les cieux. On se croirait presque dans un village-fantôme, l’activité y est encore moins présente “qu’en bas”. Avec un peu de chance, un autochtone passera peut-être sa tête entre deux murs pierreux et lancera un sourire accompagné de quelque salutation. Gentillesse et bienveillance sont ici reines, au même titre que la végétation, qui semble avoir repris pleinement ses droits. Les ruines des vieilles bâtisses peuvent en témoigner… De là-haut, la vue est enivrante. On y distingue parfaitement Mangalem, pendant de Gorica de l’autre côté de l’Osum, tel un reflet presque parfait.

Style inédit pour “la ville aux mille fenêtres”

La symétrie n’est toutefois pas exacte. L’agitation, toute mesurée qu’elle soit, est un chouia plus palpable à Mangalem, la vieille ville, classée à l’Unesco, au pied de la colline majeure. C’est là l’occasion de dresser un peu plus en détail le portrait de Berat. Il s’agit d’une cité antique : elle fut peuplée dès le VIe siècle avant Jésus-Christ par les Grecs ! Romains, Slaves et Bulgares – elle prend alors le nom de Belgrad/Beligrad, ou “ville blanche” –, Byzantins, Serbes, Siciliens, Ottomans… puis Albanais l’occupent. Le tout mâtiné de communautés chrétienne, musulmane et, un peu, juive. Les guildes d’artisans (tanneurs, cordonniers, sculpteurs…) font recette. Aujourd’hui, Berat – peut-être grâce à tant d’influences successives – est l’un des principaux centres culturels du pays. Ce fut d’ailleurs peut-être le berceau d’Onufri (XVIe siècle), l’un des plus grands peintres albanais. Véridique ou non, on rencontre son aura et ses œuvres un peu partout au hasard des balades. Et dans le cœur des 60 000 habitants…

Nicolas Vollmer, Berat Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)

Cette mixité se retrouve également dans les témoignages architecturaux. Mangalem, originellement musulmane, exhibe ainsi trois mosquées. L’autre marque de fabrique de ce cœur historique est aussi celle qui fait la renommée de Berat : ses fenêtres. Une multitude d’entre elles… Guère surprenant : on est ici dans “la ville aux mille fenêtres”. La première impression est saisissante, le style est inédit, la carte postale est toute trouvée. Et les allées de gros pavés, une fois encore, d’une zénitude à toute épreuve. Entre ombre et lumière, on déambule en se faufilant entre les parois des maisons, tour à tour étriquées tels des donjons ou larges telles des demeures cossues.

Deux sœurs qui se toisent à travers les nuages

Au sortir de ce quartier authentique et préservé, on se dirige vers les hauteurs. On traverse Kalaja, coquette zone résidentielle, pour atteindre le château. Une grimpette jusqu’à 215 mètres d’altitude… et Berat de se targuer d’un surnom supplémentaire, déjà pressenti lors des promenades précédentes : “la ville aux deux mille marches”. La citadelle s’annonce en forme d’apothéose. En pénétrant l’enceinte de cet auguste fort, on prend la mesure de l’aura séculaire des lieux. Le château remonte dans l’ensemble au XIIIe siècle. Les constructions, tout comme les murailles, à moitié détruites, sont pour la plupart en ruines : églises byzantines, mosquées ottomanes, palais… Cela participe amplement au charme serein de l’endroit. Entre des tours étêtées on découvre ainsi un petit village romantique… où les gens habitent encore ! Ils ne sont certes pas très nombreux mais cela apporte à la citadelle un cachet unique, “vivant”. Et quelques terrasses plus que bienvenues de cafés et de restaurants. Ce même charme devient contemplatif quand on s’installe sur les murailles, à flanc de falaise, pour savourer l’imposant panorama sur les alentours vallonnés.

Diego GalliSuivre Gjirokastra, Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)

Par-delà les nuages et les monts, on devinerait presque le second écrin, Gjirokäster. À deux heures plein sud, voici la presque jumelle de Berat, dont la vieille ville ottomane est, elle aussi, inscrite à l’Unesco. La Grèce n’est qu’à une trentaine de kilomètres. Comme sa sœur, Gjirokäster – dont le patronyme signifie “château d’argent” – cumule les surnoms : “la ville penchée”, “la ville de pierres”… Comme elle, “Gjiro” est établie sur les pentes de sommets, notamment Mali i Gjerë (“grande montagne”), certes un peu plus haut (1 789 mètres). Comme là-bas, la population réside toujours dans le centre historique. Et comme pour son acolyte, on parle bien ici d’une ville-musée. Les “kulle”, des maisons à tourelles, qui appartenaient à de riches familles de marchands ou à des dirigeants, en sont les stars. La Skenduli ou encore la Zekate font partie des plus intéressantes de ces petites forteresses traditionnelles. Les visiter donne le vertige : on finit par ne plus compter les pièces tant il y en a, à tous les étages… On s’imagine du temps de la splendeur ottomane, lors d’une faste réunion avec les notables ou d’une cousinade, avec moult tapisseries au mur et des agapes à déguster assis sur des poufs richement décorés. Bref, le voyage dans le temps fonctionne à merveille côté imagination.

Au royaume des terrasses de charme

Gjirokäster est un peu plus récente que Berat : il y a des traces d’occupation au Ier siècle avant Jésus-Christ mais la ville actuelle date grosso modo du XIIe siècle. Au XVIIe, pendant le règne ottoman, le bazar jouissait d’une dimension inégalée et concentrait les prospères activités et les biens de premier ordre (broderies, soie, yaourt). À l’heure actuelle, le centre-ville s’organise toujours autour de cette même zone au charme médiéval. On y retrouve d’ailleurs un esprit un peu “souk”, grouillant, populaire, chaleureux. Le quartier est parfait pour succomber à une autre spécialité de Gjirokäster : la gastronomie. Nos plats préférés, typiques de la région ? La “pasha qofte”, une soupe avec des boulettes de viande, du riz et des œufs ; le “shapkat”, une sorte de tourte à base de farine de maïs, d’épinards, de feta et d’aneth ; ou encore l’“oshaf”, un dessert préparé avec du lait de brebis et des figues séchées. Étant donné la topographie de Gjirokäster, avec toutes ces rues escarpées, il n’est pas étonnant d’y croiser des terrasses à très fort pouvoir d’attraction. Celle de l’hôtel Kodra, vaste et chic, nous en a mis plein les yeux… Mais vous en dénicherez également de plus intimistes en errant dans les ruelles.

unesco-gjirokastër-albanie-ville,ErvinGjata

Car il faut bien faire le plein d’énergie avant de s’attaquer à la montée de la citadelle. Rien de méchant, pas d’inquiétude… Mais voilà une ultime similitude avec sœur Berat. Le château, perché à 336 mètres, domine tous les environs. On débarque dans les souterrains, au sein desquels le musée de l’armement rassemble d’impressionnantes pièces. Mais la vérité est ailleurs. À l’extérieur en fait, sur une longueur de 600 mètres. La vue sur les paysages voisins, à quasi 360 degrés, est tout bonnement radieuse. Elle devient carrément époustouflante quand on s’installe sur les murailles à flanc de falaise pour savourer l’imposant panorama sur les alentours vallonnés. Cela ne vous rappelle pas quelque chose ? Par-delà les nuages et les monts, on devinerait presque le premier écrin…