Grèce

Acropole d’Athènes: la culture au sommet

Par Benoit Helme / Publié le 19.05.2015

Vestige lumineux de la Grèce antique sur son rocher sacré, elle nous renvoie à l’âge d’or d’Athènes et au berceau de notre démocratie…lorsque la mégalomanie avait du bon.

Photo: Karol Choma via Unsplash

Juste avant que l’avion ne se pose sur la piste, après 3h30 de vol en provenance de Paris, Athènes impose déjà son éclat par le hublot. Ville dense et claire ponctuée d’espaces verts, parfum oriental et méditerranéen, soleil et grande bleue à l’horizon. Athènes est située dans une cuvette encerclée par quatre montagnes qui lui donnent une dimension quasiment solennelle. Nous voilà donc débarqués dans la capitale de la Grèce et chef-lieu de l’Attique, première région économique du pays, au pays de la crise solaire surmédiatisée. Le ciel est pourtant clément et la mer Egée tranquille depuis que la déesse mère Gaïa – la terre – a délégué son fils Chronos pour émasculer ce pauvre Ouranos et l’envoyer calmer ses ardeurs haut perché dans les étoiles.

Nous sommes tous grecs. Notre culture est grecque. Notre langue est grecque, imprégnée par ses nombreux termes littéraires, techniques, médicaux, ou par ses mots que nous utilisons encore tous les jours: la logique, le dialogue, le prologue, l’archéologie viennent du même radical: « logos » qui désigne en grec ancien la parole, la raison, l’étude. Qui dit raison renvoie inévitablement à la philosophie née elle aussi dans les jeux de lumières de la cité antique – on découvrira même ici la prison de Socrate! L’épopée, la poésie, le théâtre, la tragédie, la comédie, ou la fable font également partie de ces champs essentiels à vivre qui nous viennent de la cité d’Athènes. Olive verte sur le gâteau antique, les Grecs ont aussi inventé la démocratie. C’est à Périclès, stratège et homme d’Etat pendant l’âge d’Or athénien, que l’on doit cette définition de la démocratie toujours actuelle et pourtant vieille de…quelque 2500 ans: « Du fait que l’État, chez nous, est administré dans l’intérêt de la masse et non d’une minorité, notre régime a pris le nom de démocratie ». Nous sommes là dans le berceau de notre civilisation occidentale. La bonne nouvelle, c’est qu’il reste ici d’époustouflants vestiges de cet âge d’or au premier rang desquels une merveille à couper le souffle, qui porte le nom d’Acropole.

Une des cent choses à faire avant de mourir

Belle comme un astre en contre-plongée, elle domine la ville du haut de son plateau – Acropole signifie en grec: ville haute. C’est une claque magistrale de toute beauté, une des cent choses à faire sans faute avant de mourir: crapahuter sous le soleil sur le plateau de l’Acropole. De préférence avant l’été, histoire d’éviter la chaleur étouffante et les flux trop chargés en touristes. L’Acropole d’Athènes est cette forteresse naturelle qui culmine à 156 mètres au-dessus du niveau de la mer et dont les monuments font désormais partie du patrimoine mondial de l’Unesco. Grâce aux fouilles, les archéologues ont même découvert que l’Acropole et ses pentes étaient habitées depuis l’âge de bronze (3000 avant JC).

Sur une surface de quelque trois hectares, enclose par des murs imprégnés de lumière, se trouve ici un spot éblouissant fait de bâtiments désormais célèbres: le Parthénon; les Propylées; le temple d’Athéna Nikà et l’Érechthéion. Il s’agit pour l’essentiel de temples dédiés à Athéna, déesse de la sagesse et du combat mais aussi protectrice des artisans et de la cité. Ces monuments incarnent aujourd’hui encore dans le marbre une politique de construction prestigieuse menée par Périclès à une époque où la mégalomanie avait du bon! Périclès, pourtant d’origine aristocratique, allait faire de la démocratie l’ultime objet du nouvel empire grec. C’est à partir de ce plateau – au Ve siècle avant Jésus-Christ – que la cité d’Athènes prend toute son ampleur, entièrement dédiée à la divine Athéna en remerciement d’une célèbre victoire navale remportée sur les perses – la bataille de Salamine. La petite Athènes au régime démocratique, rusée comme Ulysse, contre l’immense empire perse en mode tyrannique, c’était un peu David contre Goliath, loin d’être gagné.

Le théâtre de Dionysos, premier théâtre du monde

On commence l’ascension par un petit sentier vert qui fait le tour du rocher sacré, et qui porte le nom de péripatos – « promenade » en grec. On imagine bien le genre d’activité que pouvaient exercer les péripatéticiennes qui attendaient le client sur le parcours. Leur semelle de vent laissait sur le sol la trace d’un mot dont l’effet dépassait peut-être celui du Viagra aujourd’hui: « AKOLOUTH », qui signifiait « Suis-moi ». A ne pas confondre avec les péripatéticiens de genre masculin, disciples d’Aristote et ainsi dénommés parce qu’ils philosophaient en se promenant dans les jardins du Lycée – l’école philosophique fondée par Aristote. En montant par le versant sud-est vers le Parthénon, on rencontre d’abord les ruines encore harmonieuses du théâtre de Dionysos. Autant dire, le premier théâtre du monde. Deux fois par an, toute la population d’Athènes s’y rassemblait pour assister à un grand festival d’art dramatique.

La télévision, le cinéma, le théâtre et Internet doivent tous leur existence à ce lieu. C’est ici qu’est né le spectacle vivant populaire. A cette époque, le théâtre faisait du bruit. Lorsque le public n’aimait pas la pièce, il huait et sifflait si fort que les comédiens devaient quitter la scène. Mais si les spectateurs étaient touchés au vif par l’émotion de l’histoire, alors ils éclataient tous en sanglots. On y jouait de pures tragédies – de Sophocle ou Euripide – qui racontaient généralement la vie de grands personnages finissant dans la déchéance en perdant tout ce qu’ils possèdent: Agamemnon, héros de la guerre de Troie assassiné par l’amant de sa femme, ou encore le parcours aveugle et culte d’un roi appelé Oedipe…On regarde ces gradins de pierre et la première scène du monde, comme un étonnant prémisse de la société du spectacle dans sa version non connectée. Ce que les tragédies grecques pointaient à l’époque de la démocratie naissante et triomphante, ce dont les spectateurs athéniens se délectaient, c’était de voir à quel point la grandeur de l’homme est fragile. Périclès lui-même connaitra la fin d’un héros de tragédie en mourant de la peste pendant la guerre du Péloponnèse qui verra Sparte triompher sur Athènes.

La marbre ambré du Parthénon tirant sur le doré au soleil couchant

Du haut de l’Acropole, on regarde la mer Egée qui scintille. On aperçoit au loin cette ile de Salamine, qui donna lieu à la bataille légendaire. En 480 avant Jésus-Christ, l’immense flotte perse attaquait la cité d’Athènes, en passant par le chenal de cette île, convaincue de pouvoir en finir enfin avec l’ennemi grec. Mais cette ingénieuse bataille navale fut remportée par les Grecs qui, dès lors, entrèrent dans ce fameux âge d’or qui dura à peine plus d’un siècle mais posa pour de bon les fondements de notre civilisation. Magie de la pierre qui dans les jeux de lumière nourrit l’imagination.

On se tourne vers le Parthénon, dont la première des constructions fut lancée – encore et toujours lui – par Périclès. Le budget qu’il y consacra à l’époque était phénoménal – l’équivalent d’un milliard d’euros aujourd’hui. Il aura fallu une quinzaine d’années pour construire ce temple hors-norme: 20.000 tonnes de marbre aux proportions parfaites et taillés au millimètre près, provenant des carrières de la montagne Pentélique environnante furent apportées sur le rocher sacré pour lancer les grands travaux sous la conduite du sculpteur Phidias. Ce marbre a la particularité de revêtir une teinte exceptionnellement ambrée qui tire sur le doré au soleil couchant.

En entrant pour la première fois dans ce temple, les athéniens ont du être saisi de stupéfaction: on y découvrait alors une statue d’Atnéna, aujourd’hui disparue, d’une hauteur de douze mètres faite d’ivoire, d’or et de pierres précieuses. Sur la frise intérieure du Parthénon – dont une partie est conservée dans le très beau musée de l’Acropole – figurait alors une grande procession d’Athéniens sculptée dans le marbre et à cheval, comme dans un mouvement d’élégance et de noblesse unanimes. Périclès offrait ainsi aux athéniens une vision d’eux-mêmes et de la démocratie au sommet de son art.

Le Parthénon est cette œuvre à la fois démocratique, religieuse et martiale qui entend rassembler tous les athéniens qui participèrent à l’écrasement des Perses sur leur rivage. Des hommes comme des exemples à suivre. Le Parthénon s’inscrit par ailleurs dans un rectangle calculé selon le nombre d’or, c’est-à-dire tel que le rapport de la longueur à la hauteur du bâtiment est égal à ce nombre (environ 1,618). On pense aussi au miel qu’en a fait Paul Valery: « Filles du nombre d’or, fortes des lois du ciel, sur nous tombe et s’endort, un Dieu couleur de miel ».

L’Agora, place publique en démocratie

On regarde maintenant vers l’Agora, au pied du versant nord de l’Acropole. Ce mot signifie, dans la poésie d’Homère, l’assemblée du peuple. Elle désigne tout ce qui se fait dans l’assemblée populaire, les discours, les votes, ou les délibérations. Elle est ce lieu de réunion où tous les citoyens d’une même ville se donnent rendez-vous pour s’entretenir des affaires de la cité comme de leur propre business. Elle était aussi cette place publique où l’on se rend pour acheter ce qui est nécessaire à la vie; ici les marchands de poisson, là les marchands de fromage, plus loin ceux qui vendaient du vin ou des pots. Les uns étaient installés en plein air, d’autres sous des tentes; quelques-uns avaient même de véritables boutiques. Près de leurs étalages, se dressaient les tables des banquiers, fort nombreux à Athènes.

On regarde vers cette Agora et l’on distingue un portique hellénistique très clair, de belle allure: la stoa d’Attale. Un portique – stoa, en grec – est une galerie couverte dont les voutes où les plafonds sont supportés par des colonnes. La stoa d’Attale a été reconstruite à l’identique – entre 1953 à 1956 par l’École américaine d’archéologie, grâce au financement du milliardaire John Davison Rockefeller junior. Elle abrite désormais le musée de l’Agora antique, musée ouvert tout en longueur où pénètrent les lumières du jour et regorgeant des empruntes laissées par l’histoire. On y descend par un petit sentier en friche.

L’Odyssée est une femme et l’Iliade un homme

On entre dans ce musée dont la collection concerne essentiellement le fonctionnement de la démocratie athénienne ancienne, dont une grande partie des centres de pouvoir étaient localisés sur l’Agora. On y trouve des inscriptions relatives à l’administration ou à la diplomatie de la cité antique, des accessoires attestant du fonctionnement des institutions démocratiques – comme des jetons de vote – mais aussi des statues honorifiques. On y voit notamment, en tout début de parcours, deux bustes particulièrement émouvants – la pierre n’émeut pourtant pas tous les jours: un de ces bustes personnifie le récit de l’Odyssée en femme alors que l’autre, l’Iliade, est incarné en homme. Légendes, héros, épopées peuple et Dieux incarnés dans la pierre.

On se promène maintenant dans l’espace vert de l’agora, immense jardin un peu sauvage, ponctué de pierres et de dalles comme autant de reliquats précieux où des orateurs avisés tentaient de convaincre la population de la pertinence de leurs idées. L’agora témoigne aussi de cette époque où les athéniens recherchaient la justice qui, selon le mot d’Aristote, n’est « pas un nombre au carré ». Bien sûr, cette démocratie était loin d’être parfaite, elle était même injuste par bien des aspects: les esclaves et les femmes y étaient considérés respectivement comme des biens et d’éternelles mineures…on les excluait donc de la communauté politique comme en étaient également exclus les métèques – étrangers – parmi lesquels on distinguait les métèques non barbares – non athéniens mais grecs – et les barbares – tous ceux qui n’étaient pas grecs. Mais c’est bien à partir de cette Agora dont les terres sont encore là, sous nos pieds, que la première forme de démocratie naturellement perfectible, a vu le jour.

Les quartiers Plàka et Psyri bouillonnant la nuit au pied de l’Acropole

On sort de l’Agora pour entrer dans un ancien quartier d’Athènes, tout actualisé celui-ci: une zone piétonnière façon marché aux puces en mode touristique. C’est le quartier de Plàka. Un dédale de petites rues pétillantes, un brin branchées ou franchement mondialisées selon les coins où l’on se promène avec parfois d’incontournables Zara, H&M, et autres Desigual…Le soir venu, on entre au hasard dans un bar, le Kimolia Art café, qui évolue dans un genre plutôt rock et coloré avec vue sur voie ferrée. On y découvre au premier étage une jeunesse grecque toute effervescente assise autour des tables et comme debout dans un grand souffle de vie.

A quelques encablures de Plàka, on peut rejoindre aussi à pied le quartier de Psyri, un autre quartier au pied de l’Acropole façon small is beautiful. C’est un coin idéal pour acheter de jolis vêtements pas trop chers; c’est le quartier ouvertement branché des stylistes et autres créateurs de mode ouverts parfois en soirée. Pendant la journée, Psyri incarne pourtant une autre forme d’authenticité grecque, modelée par des grossistes en huile d’olive, fruits secs ou épices. Mais lorsque les devantures de ces artisans descendent, restaurants et bars commencent à s’animer jusque tard dans la nuit. Et puis, toujours, où que l’on se promène, au hasard de cette rue ou de cette autre, illuminée la nuit, voici la vue sur l’Acropole qui advient à nouveau quand on ne l’attendait pas. On peut choisir ici ou là un resto et manger copieusement en terrasse entre 10 à 15 euros. La vie n’est généralement pas chère à Athènes. Par ces temps de crise, les bars et les restaurants grecs ont, par un chouette réflexe économique, baissé les prix de leurs cartes. Du coup, le peuple des chômeurs et de la classe moyenne, plus ou moins éclatée, peut continuer à sortir, parler, échanger au dehors. C’est un comportement méditerranéen éminemment sympathique qui évite la double peine qui consiste à chômer et à se replier chez soi.

Des Athéniens chaleureux

Athènes est une ville de gens chaleureux, souvent détendus et courtois. Le climat solaire y est sans doute pour quelque chose – la température oscille en journée, à la fin Avril, entre 20 et 25 degrés. Mais il y autre chose aussi dans l’air, qui ressemble à un vrai souci de l’hospitalité. Athènes est toute habitée par des athéniens courageux – il faut pouvoir supporter la crise – mais aussi souriants et attentionnés. Vous montez dans un tramway, vous ne savez pas où composter votre billet que déjà une athénienne vous indique, sans que vous n’ayez rien demandé, qu’il faudra descendre sur le quai pour le valider. Vous êtes un peu perdu le premier jour dans la ville et vous cherchez vos repères? Les athéniens qui parlent souvent l’anglais vous renseignent sans hésiter. Pour cette raison, et bien d’autres encore, vous avez tout intérêt à connaitre le mot Efkharisto, qui signifie « de bonne grâce » et donc « merci » en grec. Ce mot fait référence aux trois Grâces de la mythologie, ces filles de Zeus qui symbolisent la beauté et le bonheur de vivre. A n’en pas douter, ces filles là se cachent encore quelque part dans le ciel de la ville.

On décide maintenant de prendre un taxi jaune et bon marché pour filer vers la mer, à une vingtaine de minutes de l’Acropole. Le pied du chauffeur se pose alors fréquemment sur l’accélérateur, les taxis allument ici pour de bon. On arrive sur une plage, à quelques encablures du port de Pirée. On marche devant la mer sur un tapis de galets. On jette un œil sur Salamine. On imagine des navires en bataille. On cherche des galets pour faire des ricochets. Des galets noirs ou blancs. Des galets noirs ou blancs dont se servaient les grecs pour voter « oui » ou « non » dans la première démocratie du monde.