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Menton et ses jardins, plaisirs des yeux, plaisirs de bouche

Par Florent Mechain / Publié le 25.01.2018

Jouxtant l’Italie, cette station balnéaire entre falaises rouges et Méditerranée jouit d’un climat particulièrement privilégié. De quoi en faire une véritable serre à ciel ouvert, avec une profusion de plantes, des plus exotiques aux plus authentiques. Des faveurs naturelles que Menton a notamment su mettre au profit de sa riche gastronomie.

Menton à l’aube. Flickr. Jacques Dufrenoy

L’odeur de la haie de romarin géante de mon jardin… L’ombre de l’avocatier… Les effluves de mimosa sur le tortueux boulevard de Garavan… Le goût de la fleur d’oranger dans ma tisane du soir… Les milliers de noyaux d’olives sur les escaliers en pierre du Pian, au retour du cinéma en plein air… La froideur de la glace à l’italienne aux cerneaux de noix, les jours de grosse houle sur la plage Hawai… La consistance granuleuse de la soupe de poissons faite maison… Mes premières pâtes au pesto… Les centaines de pastèques entassées anarchiquement, chez les primeurs à ciel ouvert de la frontière… L’énormité d’un pan bagnat entier dans mes mains de petit garçon… L’intimidant profil d’une rascasse au bout de la ligne d’un pêcheur debout sur les rochers… Le jaune éclatant, presque fluo, des citrons, partout dans les rues…

Aussi loin que remonte ma mémoire, Menton y a imprimé sa marque. Je pourrais citer des dizaines d’autres souvenirs tant cette ville m’a bercé, depuis ma plus tendre enfance. Avec le recul, rien n’a vraiment changé. Ce qui est mentionné ci-avant avec une douce nostalgie fait toujours partie des attributs charmeurs de la cité maralpine.

“Les jardins sont la signature de la ville de Menton.” Cette phrase d’introduction sur le site des Villes et villages fleuris traduit à merveille l’environnement fertile et entretenu de la commune, labellisée 4 Fleurs depuis des lustres. Avec 316 jours de soleil par an et des températures très clémentes, son microclimat – assuré notamment par les falaises des Balzi Rossi (Rochers rouges), qui protègent des vents – n’y est pas étranger. Cette météo favorable permet ainsi aux bosquets, bas-côtés, squares, parterres… de revêtir des allures méditerranéennes, avec cycas (comme un petit palmier), faux-poivriers (qui donne les baies roses), caroubiers, agaves. Voire encore plus dépaysantes, grâce à des ribambelles de cactacées en tous genres.

Flickr.Jacques Dufrenoy.

Temps suspendu dans un eldorado végétal

Une facette exotique à retrouver par exemple au Jardin Val Rahmeh. Autour d’une superbe villa italo-provençale aux tons pastel, 1 hectare de végétation rare, tropicale ou autochtone, aménagée et choyée avec passion et maîtrise. Le temps semble s’être suspendu dans cet eldorado végétal où fraîcheur rime avec découvertes et émerveillement.

Dans une configuration quelque peu semblable, Maria Serena, à quelques pas du poste-frontière “du bas” (Saint-Ludovic), séduit tout autant. Au cœur d’une nature éclectique pareillement épanouie, la villa est, cette fois, de style Belle Époque. Le panorama sur la cité et la grande bleue, lumineux, ne gâte rien.

Également de style Belle Époque mais peut-être moins impressionnant quant à ses plantations, le parc de Fontana Rosa est toutefois étourdissant d’originalité. Installé dans le quartier de Garavan, duquel il s’est entiché dans les années vingt, l’écrivain espagnol Vicente Blasco Ibañez y a créé le Jardin des Romanciers. Bancs, sculptures, céramiques, couleurs vives, tonnelles, fontaines, influences andalouses… Tout s’accorde pour que l’on succombe à une contemplation poético-romanesque.

À l’instar du Val Rahmeh, trois autres sites sont classés “Jardin remarquable” – avec quatre représentants, record de France, Menton en compte autant que la région Limousin, ou que Bordeaux et Paris réunis. Les lauréats : la Serre de la Madone (subtile collection d’essences rares), La Citronneraie (une oasis boisée à flanc de colline) et le jardin du Palais Carnolès (originellement propriété des princes Grimaldi). Ces deux derniers sont consacrés aux agrumes, parmi lesquels se distingue la star du pays, la fierté enviée, le trésor renommé : le citron de Menton.

Fête du citron. Flickr. Laurent Carles.

De la légende du fruit d’or à la tarte au citron

Selon une légende populaire, Ève emporta un fruit d’or du paradis lorsqu’elle quitta celui-ci. Adam, redoutant un châtiment, lui demanda de s’en débarrasser. En atteignant la divine baie de Garavan, Ève eut l’impression de retrouver l’Éden et y planta alors la relique. Ainsi naquit l’idyllique Menton, capitale mondiale – voire terrestre, donc – du citron.

Et ce titre n’a rien d’un mythe. Le fruit, d’illustre réputation, a acquis des lettres de noblesse au point d’être célébré chaque année depuis 1928, en février, lors de la Fête du citron. Côté dégustation, le prestige est issu d’un parfum et d’une saveur prononcés et incomparables. Des particularités qui m’emballent les papilles à chaque bouchée de tarte au citron, bien entendu l’un des fameux mets de la ville.

La gastronomie locale, foisonnante, fournit un prétexte idéal pour explorer la cité. Une envie de fougasse (gâteau à base de fleur d’oranger, de graines d’anis, de fenouillette, de pignons…) ? Direction les pâtisseries dissimulées dans les rues pavées des Logettes ou Longue. Ces venelles sinueuses, sombres et pentues serpentent au cœur du vieux centre et de ses bâtisses typiques aux toits de tuiles rondes. Des escaliers escarpés s’échappent de-ci, de-là, au pied de l’auguste basilique Saint-Michel.

Faim de pistou, de tapenade ? Dans la “rue piétonne” (la commerçante et touristique rue Saint-Michel) et ses adjacentes, les options de restauration sont innombrables. Et derrière les terrasses ombragées de la place aux Herbes, au bord de cette même artère, se profile le marché couvert.

 

Les artistes n’ont pas résisté à ses charmes

Ces halles de 1898, aux briques rouges et aux céramiques multicolores, sont le noble écrin de pléthore de spécialités mentonnaises. Pêle-mêle, on y fait la queue pour des beignets de fleur de courgette, de la socca (une sorte de galette de farine de pois chiche), de la pichade (une tarte aux anchois, à la tomate et aux oignons, cousine de la pissaladière), des barbajuans (beignets de blettes, viande hachée et riz). Pour diversifier les plaisirs, des étals d’olives (le plus dur sera de choisir entre tant de variétés), de pâtes fraîches et fromages italiens complètent la liste des alléchantes tentations.

À deux pas, entre l’édifice et la mer, est érigé le musée Jean Cocteau. Cette étonnante construction de l’architecte Rudy Ricciotti, inaugurée fin 2011, rend hommage à l’académicien français qui, au même titre que Blasco Ibañez, avait succombé aux charmes de Menton. Car cette station balnéaire, “perle de la France” d’après le géographe Élisée Reclus, exerce un pouvoir d’attraction indéniable sur les visiteurs comme sur les artistes.

Dont les cinéastes, qui aiment à filmer ce décor privilégié, entre autres le pont Saint-Louis, poste-frontière “du haut”. C’est à quelques mètres de celui-ci que sont établis le Mirazur et son chef argentin Mauro Colagreco. Le credo du restaurant 2 étoiles, perché près des falaises ? Une cuisine saine, créative et articulée autour des légumes et aromates du potager maison. “Le meilleur des deux mondes” mentonnais, en somme, avec cette délicieuse harmonie entre gastronomie et jardin. Attablé dans la véranda, je distingue d’ailleurs le mien, de jardin. Celui qui m’évoque tant de souvenirs d’enfance. Mais nul doute qu’avec cette vue sur la chaleureuse Méditerranée, sur la vieille ville ocre, sur les littoraux ligure et monégasque qui s’amorcent, et avec ces régals gustatifs, je suis en train de m’en façonner de nouveaux. Tout aussi impérissables.